LA QPC – UNE QUESTION POUR LA DÉMOCRATIE

CCB/VP

08.04.13

LA QPC

UNE QUESTION POUR LA DÉMOCRATIE

Vendredi 5 avril 2013 à l’assemblée nationale

Monsieur le président de l’Assemblée Nationale,

Monsieur le président de la commission des lois,

Monsieur le président du Conseil Constitutionnel,

Monsieur le premier président de la Cour de cassation,

Monsieur le vice-président du Conseil d’État,

Mesdames et Messieurs les professeurs,

Mesdames et Messieurs,

Mes chers confrères,

Le Pr Denys de Béchillon, qui anime notre table ronde, a défini un jour la Constitution comme « le pôle véritable de la transcendance juridique ». C’est le mérite du législateur que d’avoir permis le recours de tout citoyen au Conseil Constitutionnel afin de lui demander si la loi qu’on lui oppose est conforme à notre Constitution.

En réalité, l’ordre supérieur du droit qu’il appartient au Conseil Constitutionnel de faire prévaloir sur la loi contingente, c’est celui de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. Les principes fondateurs qui y sont énoncés ont ensuite été repris et développés dans la Déclaration européenne des droits de l’homme du 4 novembre 1950. Si la France n’est pas toujours la patrie des droits de l’homme, du moins est-elle la patrie des Déclarations des droits de l’homme comme l’a souligné fort opportunément Robert Badinter.

Cette réaffirmation sans cesse sollicitée de la prééminence des droits fondamentaux de la personne humaine et des libertés sur la loi toujours temporaire, constitue une très remarquable avancée.

La question prioritaire de constitutionnalité permet en permanence le contrôle par le citoyen de ses représentants élus. Comme l’a rappelé le président Bartelone, ils n’ont pas juridiquement raison sous prétexte qu’ils sont politiquement majoritaires. Désormais, Antigone l’emporte sur Créon grâce au juge constitutionnel qui, s’il n’a pas pour vocation d’en appeler à la loi des dieux, a pour rôle de rappeler que toute loi qui porterait atteinte aux droits et libertés fondamentaux serait illégitime.

La question prioritaire de constitutionnalité a également le mérite de permettre dans un temps qui n’est plus le temps politique de faire s’interposer un juge entre le citoyen et son représentant.

De la sorte, le citoyen rappelle, grâce à la juridiction constitutionnelle, qu’il est le détenteur de la souveraineté, qu’il n’a fait que la déléguer et qu’il appartient aux juges indépendants et impassibles de le réaffirmer.

Ce contrôle est exercé avec d’autant plus de pertinence par le Conseil Constitutionnel que dès ses premières jurisprudences portant sur la garde à vue, il a pris soin de dire que même si le contrôle a priori de la loi n’avait soulevé contre elle aucune objection, le temps qui est passé et les circonstances dans lesquelles elle a été appliquée ont pu faire en sorte qu’elle ne soit plus conforme à la Constitution : pour ce qui touche à la garde à vue, le Conseil avait observé que les fonctionnaires de police qui en étaient désormais chargés n’avaient pas la formation de leurs aînés et qu’une dérive dans l’utilisation des lois qui la réglementent, l’avait rendu contraire à la Constitution.

Montesquieu déplorait l’empilement de lois inutiles affaiblissant les lois nécessaires : le Conseil Constitutionnel est fondé à constater qu’une loi contre laquelle naguère il n’avait pas formulé de grief pouvait devenir inconstitutionnelle, combiné à des textes qui lui étaient postérieurs ou à des pratiques qui la dénaturaient.

Ainsi va notre vie temporelle : la loi n’est qu’un moment de la conscience collective. Les valeurs essentielles et les droits fondamentaux ne peuvent en aucune façon céder aux caprices du temps.

Cette Cour constitutionnelle que devient notre Conseil prend soin, en même temps, de ne pas étendre sa compétence au-delà de ce qui est possible : par un arrêt du 4 avril dernier, le Conseil Constitutionnel a décidé d’interroger la Cour de justice de l’Union Européenne sous la forme d’une question préjudicielle avant de se déterminer. De même, les sages de la rue de Montpensier savent et disent qu’un recours contre une de leurs décisions pourrait être un jour introduit devant la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg …

On ne peut méconnaître, en même temps, le problème qu’induit cette modestie : lorsque le Conseil juge qu’une loi est anticonstitutionnelle, donc illégitime, puisqu’illégale, il laisse cependant le temps au parlement d’en voter une nouvelle. Il en résulte un véritable inconfort intellectuel : entre la décision de juillet 2010 déclarant inconstitutionnelles les gardes à vue à la française et le mois de juillet 2011, date butoir que le Conseil avait laissé au parlement pour adopter une nouvelle loi, se trouvait ainsi tolérée l’illégalité de pratiques qui n’avaient plus de fondement juridique en attendant que le parlement réglemente autrement la garde à vue.

Cette tolérance à une situation juridique contraire aux droits fondamentaux est le signe du respect que le Conseil veut garder à l’égard des législateurs auxquels il ne veut pas se substituer, tout en laissant perdurer des comportements qu’il vient de juger contraires à la Constitution. Il lui faudra, un jour ou l’autre, résoudre ce paradoxe.

De même, faudra-t-il dans l’avenir s’interroger sur le filtre que constituent la juridiction du premier degré, puis, ensuite, la Cour de cassation ou le Conseil d’État. Il est difficile pour une juridiction d’admettre comme pertinente la question posée à propos d’une loi dont sa propre jurisprudence a explicité la portée et, à plusieurs reprises, validé le bien-fondé.

L’idéal serait une chambre des requêtes au sein même du Conseil Constitutionnel semblable à l’ancienne chambre des requêtes de la Cour de cassation ou à la Commission d’admission des recours à la CEDH.

Je tiens à rendre hommage au président Urvoas, président de la commission des lois, qui a évoqué le problème des frais auxquels est contraint de faire face le plaideur pour avoir fait déclarer anticonstitutionnel un texte, alors même qu’il ne bénéficiera pas des conséquences de la décision rendue en raison du temps laissé au parlement pour corriger la loi. Je n’aurais pas envisagé d’en parler si le président de la commission des lois n’avait pas abordé de lui-même ce sujet important.

Un remède réside peut-être dans le fait que devant le Conseil d’État comme devant la Cour de cassation, ce ne soit pas seulement les avocats aux Conseils qui puissent porter la parole du requérant, mais aussi les avocats de l’infanterie commune. Ce serait d’autant plus logique qu’au Conseil Constitutionnel tous les avocats, sans distinction, sont admis à venir eux-mêmes soutenir la question prioritaire qui a franchi avec succès les filtres.

Qu’il me soit permis de dire au président Jean-Louis Debré et au secrétaire général, Marc Guillaume, la gratitude du barreau français pour l’accueil que le Conseil Constitutionnel leur a réservé et la considération qu’il leur manifeste ostensiblement, là où d’autres juridictions croient devoir garder pour elles-mêmes l’estime qu’elles leur portent.

Grâce à la question prioritaire de constitutionnalité, se renforce le socle des droits et des libertés rendant toujours plus assuré le triomphe de l’ordre du droit sur le désordre des forces.

Bâtonnier Christian Charrière-Bournazel

Président du Conseil national des barreaux