La justice en héritage

TITRE : La justice en héritage

CHAPEAU : C’est à Deneuille-lès-Chantelle, berceau de sa famille maternelle, que Christian Charrière-Bournazel, le nouveau bâtonnier des avocats de Paris vient se ressourcer…

TEXTE : Qualifier Christian Charrière-Bournazel, le nouveau bâtonnier de l’Ordre des Avocats de Paris, de ténor du barreau serait non seulement facile mais inapproprié. Ce qui frappe d’emblée chez ce spécialiste du droit de la propriété intellectuelle et des médias, c’est d’abord sa voix de baryton. Une voix mâle et assurée, qui semble faite tout exprès pour retentir dans les prétoires. Ses confrères l’ont souvent appris à leurs dépens : quand il pense, il y a lieu de se méfier, mais quand il parle, il est déjà trop tard…Chez les Charrière, on est avocat depuis onze générations (et le nouveau bâtonnier n’est pas peu fier de ce Léonard Charrière, avocat au Parlement de Paris sous Louis XIV, sans jamais quitter Aubusson) ! Pourtant, ce n’est qu’à condition de pouvoir satisfaire son goût pour les lettres que le jeune Christian Charrière-Bournazel accepta de placer ses pas dans ceux de son père : « il avait le désir que je sois avocat avec lui, à Limoges, ce n’était pas mon souhait : je ne voulais pas perdre le contact avec la littérature » explique cet admirateur de Bernanos. Et c’est ainsi que l’étudiant en lettres se spécialisa en droit de la propriété littéraire et artistique.

Toute réussite a sa part de légende, l’avocat des éditions du Cerf ne nous en voudra pas de recourir au dominicain Jacques de Voragine pour évoquer sa rencontre avec Roland Dumas. On l’ignore parfois mais l’ancien ministre de François Mitterrand est avocat de formation et, lui aussi, limousin d’origine. Le Charrière-Bournazel sut rapidement, par sa capacité de travail faire sa place dans le cabinet de l’ancien résistant, connu pour s’être chargé des successions Picasso et Giacometti : « je lui ai rendu visite en 1967, quai de Bourbon. Il venait d’être élu à Brive ; je n’étais moi-même parisien que depuis deux ans. Je l’ai revu quand je suis devenu avocat stagiaire et il a accepté de me prendre après mon service militaire dans la coopération. »

Avoir été l’un des collaborateurs de Roland Dumas reste comme un des grands moments de la carrière de l’avocat ; c’est notamment auprès du défenseur de Lacan qu’il a appris le droit de la presse. Pour l’anecdote, le jeune Charrière s’est même un jour trouvé confronté, pour les besoins d’un procès, à plaider devant un autre grand nom des prétoires : Jean-Denis Bredin, aujourd’hui académicien et considéré comme le biographe inégalé d’Alfred Dreyfus.

Le nom du célèbre capitaine épinglé fait d’ailleurs écho au parcours professionnel de maître Charrière-Bournazel. Son engagement dans la lutte contre le racisme et l’antisémitisme est connu. En 1978, l’année où il choisit de voler de ses propres ailes, alors qu’il ouvre son propre cabinet, il choisit d’adhérer à la Licra. « J’honore un dieu qui s’est incarné dans un juif » commente ce catholique pratiquant. Devenu vice-président de la Ligue contre le racisme et l’antisémitisme, c’est toujours à titre gracieux qu’il plaide pour l’association. Une vice-présidence qui n’est pas, loin s’en faut, qu’honorifique : elle a d’ailleurs mené l’intéressé à livrer des combats difficiles. Témoin le premier procès Papon, en 1983, ou encore celui de Klaus Barbie quelques années auparavant…

Ce procès en diffamation qui l’opposa à l’ancien secrétaire de la préfecture de Bordeaux, Christian Charrière-Bournazel ne l’évoque jamais sans émotion et colère : « cela reste un moment fort de ma vie professionnelle. Je suis né en 1946, après la guerre. Je n’ai pas connu cette période mais j’ai voulu être un éveilleur de consciences, pas un donneur de leçon… ». Un choix qui a dû lui valoir pas mal d’inimitiés. Il n’est qu’à voir la violence des arguments utilisés par certains de ses détracteurs lors de la campagne pour le bâtonnat de Paris, l’an dernier. Mais que croyez-vous qu’il arriva ? Christian Charrière-Bournazel, l’avocat du Canard enchaîné fut élu.

On croit parfois qu’être bâtonnier est une charge purement honorifique et qu’il s’agit là d’une occasion supplémentaire à faire ripaille. Il n’en est rien : la charge en question est de celle qui engage. Élu par ses pairs, pour deux ans et au suffrage universel, le nouveau bâtonnier l’est d’abord sur un programme. Il doit aussi veiller aux intérêts d’un ordre créé jadis par saint Louis. Cet ordre a pour but de protéger les avocats en garantissant leur indépendance. Il est leur autorité de poursuite et veille à l’amélioration de la condition d’avocat.

Le bâtonnier Charrière-Bournazel avait un programme ambitieux, il est en train de le réaliser. Création d’un système de prêts sans caution pour les jeunes avocats désireux de parfaire leur formation à l’étranger; création d’une pépinière dans un espace pouvant servir de bureau aux jeunes juristes. Suivra bientôt une réforme de l’aide juridictionnelle. Mais il y a encore une autre mesure qui retient l’attention par sa dimension universelle et généreuse (outre qu’elle est une des rares idées intelligentes qu’on ait eu ces dernières années pour la francophonie !) : que chaque avocat parisien accueille chez lui, dans une chambre de service ou simplement laissée vacante par un enfant devenu adulte, un jeune avocat francophone issu d’un pays du tiers-monde…

Face à un emploi du temps aussi minuté, celui qui fut quelques heures l’avocat de Jérôme Kerviel (l’ex-trader en a changé plusieurs fois depuis qu’il fait la une des médias) éprouve parfois le besoin de se retrouver à l’écart du monde et de son tumulte. Entre un déplacement au Niger et un séjour à New York, il se réfugie alors dans la maison de famille, à Deneuille-lès-Chantelle. De son propre aveu, l’endroit même où il fut conçu. Là, sur le promontoire qui fait face à l’ancien château du connétable de Bourbon, alors que la Bouble paresse en contrebas, il jouit d’un panorama et d’une quiétude extraordinaires. Seule la clochette qui rythme la vie régulière des bénédictines voisines rappelle qu’on est encore sur terre et non en paradis…

Dans l’Allier, plus d’effet de manche et plus de chicane : « en Bourbonnais, je me repose ! Cette maison et le terrain attenant sont à ma famille maternelle, les Guillaumet, depuis deux cent cinquante ans… ». Le canton de Chantelle, c’est un peu la madeleine de Christian Charrière-Bournazel : « j’y ai passé toutes mes vacances ; nous pêchions dans la rivière et nous suivions la messe des bénédictines. On surveillait aussi la moisson. Aujourd’hui, mes enfants sont heureux d’y venir. » Et puis, Paris n’est pas si loin : l’intéressé est formel, avec sa « bât’mobile » ainsi que monsieur le Bâtonnier nomme désormais son véhicule, il ne faut guère plus de trois heures !

David Gaillardon

7 dates :

2 juin 1946 : naissance à Limoges d’un père limousin et d’une mère parisienne

26 septembre 1973 : prestation de serment

1975 : 1er secrétaire de la Conférence

    1. : collaborateur de Roland Dumas

1986 – 1988 : membre du Conseil de l’Ordre

2002 : élu président de la Fédération de Paris de la LICRA

Janvier 2008 : élu bâtonnier de l’ordre des avocats de Paris.