Détention provisoire : présomption de culpabilité ?

Tribune de Me Christian Charrière-Bournazel

Le débat qui occupe les médias et passionne l’opinion publique depuis la déclaration de Monsieur Vaux, directeur général de la Police Nationale, a été très mal posé. Monsieur Vaux aurait dû s’abstenir de mettre un policier au-dessus des lois en prétendant réserver la détention provisoire aux citoyens ordinaires.

Mais la détention provisoire du policier en question permet de relancer le débat sur nos aberrations judiciaires.

Certes la justice est indépendante ! Certes les juges ne peuvent pas être soumis aux pressions de l’opinion publique ! Certes les juges ne peuvent pas se voir faire des remontrances par les agents de l’exécutif !

La question est ailleurs.

Nous avons totalement oublié en France que la présomption d’innocence bénéficie à la personne interpellée, gardée à vue ou mise en examen aussi longtemps qu’elle n’a pas fait l’objet d’un procès déclarant qu’elle est coupable. Faut-il le répéter ? Et combien de fois faut-il le redire ?

Or, la pratique de nos juges consiste, dès lors que des charges donnent à penser que la personne pourrait être coupable de délits ou de crimes, à lui faire subir une sorte de préjugement par son incarcération. Ils cèdent alors à une présomption de culpabilité.

C’est le contraire des principes fondamentaux rappelés par la Convention Européenne des Droits de l’Homme du 4 novembre 1950, appliquée par la Cour Européenne des Droits de l’Homme de Strasbourg.

La détention provisoire n’est justifiée que dans des cas extrêmement limités, selon la loi supérieure européenne. Un individu ne peut être privée de sa liberté que :

  1. « S’il est détenu régulièrement après condamnation par un tribunal compétent ;
  2. « S’il a fait l’objet d’une arrestation, d’une détention régulière pour insoumission à une ordonnance rendue, conformément à la loi par un tribunal ou en vue de garantir l’exécution d’une obligation prescrite par la loi ;
  3. « S’il a été arrêté et détenu en vue d’être conduit devant l’autorité judiciaire compétente, ou s’il y a une raison plausible de soupçonner qu’il a commis une infraction ou qu’il y a des motifs raisonnables de croire à la nécessité de l’empêcher de commettre une infraction ou de s’enfuir après l’accomplissement de celle-ci. »

L’on ne peut être arrêté que pour ces motifs très précis afin d’être immédiatement conduit à un magistrat en mesure de juger, étant précisé au paragraphe 3 du même article que la personne « a le droit d’être jugée dans un délai raisonnable ou libérée pendant la procédure ».

Nous appliquons de manière arbitraire et sauvage l’article 144 du code de procédure pénale comme si la personne mise en examen était déjà coupable au mépris des règles imposant la nécessité d’un procès équitable tenu dans un délai raisonnable.

J’ai plusieurs exemples et je suis prêt à citer le nom des juges d’instruction qui maintiennent en détention pendant un an des prévenus présumés innocents, sans avoir pris la peine de confronter ces prévenus avec leurs accusatrices pendant douze mois.

Ce scandale judiciaire mérite que tôt ou tard on demande compte aux juges qui abusent de la détention provisoire et qui sont confortés dans cette situation par des Chambres de l’Instruction qui n’ont que faire des principes issus de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et de la jurisprudence de la Cour de Strasbourg. Faut-il rappeler que la France y est le pays le plus souvent condamné après la Turquie ?

Ce débat sur la détention provisoire ne concerne pas seulement un policier. Il présentait certainement toutes garanties de représentation et n’avait pas davantage troublé l’ordre public que Monsieur Pierre Palmade, lequel avait tué sous l’empire de la drogue un enfant et condamné une femme à être paraplégique pour le restant de ses jours comme on l’a vue à la télévision.

L’ordre public n’a pas la même signification pour tous les magistrats !

A eux de s’interroger et à nous d’exiger le respect des lois supérieures.

Au Canada, le détenu provisoire bénéficie d’un hébergement dans une sorte d’hôtel et ce quelles que soient les charges qui pèsent sur lui. La détention provisoire est considérée là-bas comme une atteinte à la présomption d’innocence et non pas comme une condamnation avant jugement.

Certes le Canada n’est pas soumis à la CEDH. Mais il va au-delà des États qui dépendent de la Convention Européenne des Droits de l’Homme dans le respect des libertés.

Combien de temps allons-nous supporter de recevoir des leçons d’humanisme d’institutions étrangères à la France qui prétend à être un phare des droits de l’Homme. C’est aujourd’hui une prétention totalement usurpée.

Paris, le 27 juillet 2023

Christian Charrière-Bournazel
Avocat au Barreau de Paris
Ancien Bâtonnier de Paris

Retrouvez la Tribune de Me Christian Charrière-Bournazel sur le site internet de Marianne, en date du 28 juillet 2023
https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/detention-provisoire-les-juges-cedent-a-une-presomption-de-culpabilite

Tribune de Me Christian Charrière-Bournazel