Confiance et sécurité

Confiance et sécurité

A l’occasion de la convention nationale des avocats qui se déroulera à Nantes du 19 au 22 octobre prochain, Christian Charrière-Bournazel revient sur les thèmes choisis pour l’évènement, en décryptant ces derniers sur le terrain du volet pénal.

Appliqués au pénal, que vous évoquent ces thèmes de la Convention ?

L’exigence de sécurité est une évidence. Avant d’être une préoccupation, la sécurité est une demande populaire importante. L’universalisation de l’écho médiatique devant une tragédie criminelle touche désormais la France entière; ce qui génère un sentiment d’insécurité. Pourtant, nous ne vivons pas dans un monde moins sûr qu’il y a 50 ans. Aujourd’hui, loin des périodes troublées, nous ne supportons plus aucun trouble à la paix. Ensuite, il faut retenir que la notion de sécurité ne s’entend pas seulement au sens criminologique du terme. La précarité sociale crée également aujourd’hui un sentiment d’insécurité; qui s’exprime au travers d’une hypothétique dangerosité des rues.

 

Dans ce contexte d’insécurité fantasmée ou avérée, quelles réponses offre le droit ?

procédure pénale à chaque fois qu’un événement criminel survient est une réaction plus politique que raisonnable. La justice pénale française est en réalité une justice d’Etat qui a donné progressivement une mission différente au juge. D’une mission naturelle de condamnation du coupable et de sanction du passé, le juge se voit désormais assigné un devoir de prévisibilité du crime. Et pourtant, on ne fait pas suffisamment confiance au juge. La justice pénale a donc mis en place des obligations légales qui « automatisent » son action : peines planchers, rétention de sureté etc.

Comment cette « justice pénale étatique » considère-t-elle l’avocat ?

Le système judiciaire français a toujours considéré l’avocat comme facultatif. On peut d’ailleurs concevoir un déroulement presque normal sans avocat, sauf en Cour d’Assises où le conseil est obligatoire. D’ailleurs, même en Cour d’Assises, on a vu récemment des procès menés à leur terme alors que les avocats avaient quitté la barre. Mais on assiste à une certaine évolution des mentalités; on admet difficilement un jugement pénal si la défense ne s’est pas exprimée. On hésite à tenir pour une décision respectable celle qui a été rendue sans défense digne de ce nom.
Cependant, il reste des réticences envers les avocats notamment au niveau de la garde à vue, et ce malgré les pressions du Conseil Constitutionnel. La garde à vue demeure un résidu de barbarie où l’on cultive la maltraitance d’où surgira l’aveu. La présence de l’avocat dans la phase préliminaire de l’enquête, est actuellement organisée dans des conditions minimales. Le projet de loi voté en première lecture par l’Assemblée Nationale prévoit une kyrielle de situations d’exception.
On pose le principe du droit à l’avocat, mais en multipliant les cas où il pourra ou devra être absent. Par définition l’avocat est perturbateur. Mais ne faut-il pas admettre l’idée de cette perturbation ?

Comment résonnent en vous ces thèmes de la Convention, déclinés sur le plan pénal ?

Le droit à la sécurité, inscrit dans la Déclaration de 1789, ne doit pas inspirer tout notre droit pénal ni avoir pour effet de nourrir une philosophie du désespoir.
Depuis trois ans, le Président de la République, réagissant dans l’émotion à chaque drame, aligne des discours inspirés par l’idée fausse selon laquelle on pourrait éradiquer le mal et demander des comptes aux juges à chaque nouveau malheur, alors que leur seule fonction est de juger.
On empile les lois les unes sur les autres (quinze entre août 2007 et août 2010) au lieu de favoriser la réinsertion et la rédemption d’un condamné. Le gouvernement semble pris d’une « rage sécuritaire »1 dans une atmosphère de surenchère populiste. Faute de prévenir, on retranche.

Comment restaurer la confiance face aux nouveaux besoins de droit ?

La récente grève des magistrats révèle une double crise. La défiance à l’égard des juges a inspiré la loi sur la récidive de 2007 qui porte atteinte à leur libre arbitre : on les oblige à motiver leurs décisions s’ils sont bienveillants, en les dispensant de le faire quand ils sont répressifs. L’institution de jurys populaires en correctionnelle procède de la même défiance : les juges sont réputés laxistes, par marxisme ou par angélisme.
De leur côté, ils n’ont plus confiance dans le pouvoir exécutif qui devrait garantir leur indépendance. Le Président de la République, le 7 janvier 2009, lors de la rentrée de la Cour de cassation, avait déclaré vouloir instaurer un véritable pouvoir judiciaire. C’est tout le contraire.

La réforme de la garde à vue a-t-elle une incidence sur les besoins de confiance et de sécurité ?

Le gouvernement ménage davantage la police que les juges. Depuis deux ans, le garde des Sceaux refuse d’adapter la réforme de notre garde à vue aux critères européens définis par les arrêts de la CCDH. Il se soucie plus de préserver les pouvoirs arbitraires de la police, que de donner toute sa place à la défense.
Les magistrats, à cette occasion, ont été des garants des libertés, faisant droit ici et là, avec courage, aux conclusions de nullité déposées partout en France à propos des conditions de la garde à vue.

Peut-on dire que l’avocat est aussi un façonneur de confiance ?

Absolument. L’avocat n’a pas pour mission de faire échec à la justice, ni d’empêcher la recherche de la vérité. Son rôle est de s’assurer, en garde à vue comme dans la phase préparatoire du procès, qu’on ne porte pas atteinte aux droits fondamentaux d’un présumé innocent. On ne peut exiger de l’autre le respect qu’à la condition de le respecter lui-même.
L’avocat a aussi pour rôle d’éveiller la conscience du juge, qui ne juge pas mécaniquement des faits mais des personnes. L’avocat, cet homme de l’autre, ne remplit son rôle que s’il témoigne toujours et partout d’une culture de l’espérance

Source : Avocats & Droit, le magazine du Conseil National des Barreaux, N°37 – mars, avril, ami 2011.