Une pédagogie de la fraternité

la répression des provocations à la discrimination, à la haine ou à la violence raciste

Intervention donnée dans le cadre du séminaire sur la liberté de la presse dans l’espace UEMOA à Niamey

Mesdames, Messieurs,

Permettez-moi, en préliminaire, de vous dire l’honneur que je ressens d’être associé à vos travaux et les regrets du Bâtonnier Mario Stasi qui avait tant de titres supérieurs à mes pauvres mérites pour être des vôtres.

Notre première journée a été consacrée à la présentation de cette liberté publique fondamentale qu’est la liberté d’expression. Elle est le partage de tous les êtres humains. Les journalistes en sont les serviteurs privilégiés et les porte-drapeaux. Ils méritent notre soutien à chaque fois qu’un arbitraire prétend leur couper la langue, écraser leurs plumes, réduire en pièce leurs rotatives, voire leur retirer la liberté ou même la vie.

La première moitié de notre seconde journée a été consacrée aux droits de la personne éventuellement malmenée par la presse.

Cet après-midi, il me revient de vous parler des infractions particulières que constituent les atteintes à caractère raciste, xénophobe ou antisémite colportées par les médias sous la forme de ce que l’on appelle la provocation à la discrimination, à la haine, à la violence.

Le titre que j’ai choisi semble paradoxal : comment la répression peut-elle constituer une pédagogie de la fraternité ? C’est parce que dans ces procès, ce qui compte, ce sont moins les enjeux pénaux que la tribune de l’audience publique où se trouvent rappelés les principes universels d’égalité et de fraternité entre tous les membres de la famille humaine.
Nous partageons la conviction que le racisme, sous toutes ses formes, ne peut être tenu en bride par un appareil de textes répressifs, toujours améliorable et toujours contourné. On ne peut se satisfaire d’un état de la société avec de petites zones de discrimination. Il n’y a pas de racisme bon enfant ou de petites aversions ordinaires. On ne saurait transiger avec cette peste, comme s’il était possible de maintenir un niveau admissible de l’épidémie sans avoir à craindre la pandémie. On ne négocie pas avec l’incendie et on ne sauve pas la forêt en lui sacrifiant quelques taillis.

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Mon exposé comprendra deux parties :
– la fragilité du droit face au racisme ;
– la nécessité d’une culture juridique mondiale de l’antiracisme.

I – LA FRAGILITÉ DU DROIT FACE AU RACISME

J’exposerai successivement :
– un essai d’analyse de la nature du racisme,
– le conflit de valeurs apparent entre la liberté d’expression et la nécessité de réprimer les provocations racistes,
– l’état du droit positif français et ses applications jurisprudentielles.

A – ESSAI D’ANALYSE DE LA NATURE DU RACISME

Le racisme n’est pas de l’ordre de la pensée, mais de l’ordre de l’instinct.

André Frossard, le « cavalier seul » du FIGARO, a stigmatisé en chacun de nous ce qu’il appelle « la caverne des instincts ». Le rejet ou la haine racistes ne proviennent pas, en effet, d’un dérèglement de la pensée, mais d’une démarche instinctive, d’une sorte d’émotion première.
C’est celle de l’enfant ou celle de l’ignorant.

Le jeu des quatre coins dans la cour de récréation en fournit une image : on se sert du plus petit et du plus faible comme d’un ballon que l’on joue à s’envoyer à la manière d’un objet. Le jeu ne fait pas rire le petit.

C’est encore l’allégorie du scorpion développée par Alfred de Vigny dans la préface de Chatterton. Il décrit ce jeu familier aux enfants du midi. On fait un cercle de charbons ardents, on saisit un scorpion avec des pinces et on le place au milieu. Le scorpion, aiguillonné par la chaleur, essaie de se frayer un premier passage à travers les braises mais n’y parvient pas. On rit. Il essaie un nouveau passage et ainsi plusieurs fois de suite, jusqu’à ce qu’il découvre qu’il n’y a pas d’espoir. Alors il revient au centre, « entre en sa plus sombre et première immobilité, retourne contre lui son dard et meurt empoisonné. On rit plus fort que jamais « .
Suffit-il d’un appel au coeur pour combattre le racisme ? Hélas, ce n’est pas toujours suffisant. André Frossard écrit des racistes et des antisémites : « ce n’est pas la sensibilité qui les caractérise ».

De la sorte, le mal qui n’est pas combattu grandit comme le sénevé et devient un arbre gigantesque. Je cite quelques passages du livre d’André Frossard Le Crime contre l’humanité : « Après des débuts insignifiants, on le voit soudain prendre des proportions phénoménales et offrir une infinité de perchoirs aux vautours.  »

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Car le racisme n’est pas seulement une atteinte individuelle que l’on fait subir à une ou plusieurs personnes (ce qui en soi suffit à justifier la lutte de toute une vie d’avocat) mais il devient idéologie, « cette idéologie putride qui macère au plus bas des individus dans un innommable bouillon de haine et d’orgueil.  »
Frossard encore souligne « le degré d’ignominie auquel l’espèce peut descendre quand elle ne reconnaît aucune loi morale qui lui soit antérieure et supérieure.  »

B – LE FAUX CONFLIT DE VALEURS ENTRE LIBERTÉ D’EXPRESSION ET RÉPRESSION DE LA PROVOCATION À LA HAINE RACIALE

Au nom de la liberté d’expression, certains contestent la répression par le droit de l’apologie du racisme ou de l’antisémitisme, comme si une immunité s’attachait aux mots dès lors qu’ils sont proférés ou écrits.

C’est une position développée en France par plusieurs mouvements, au demeurant très honorables, de journalistes ou même d’organisations de droits de l’homme. C’est aux Etats- Unis une sorte de religion qui trouve sa source dans le premier amendement de la Constitution.

Or, la loi consacre et réprime d’autres délits qui ne sont consommés que par l’intermédiaire des mots : l’outrage à magistrat ou aux forces de police, le harcèlement sexuel, l’outrage aux bonnes moeurs verbal, le chantage sont d’autant d’incriminations pénales de faits ou d’actes qui ont eu comme support les mots. Personne n’oserait prétendre que la parole dite ou écrite est sacrée au nom de la liberté d’expression et devrait donc, de la sorte, échapper à toute poursuite.

Le conflit apparent procède d’un faux problème et d’une grave confusion des valeurs. On ne redira jamais assez que le racisme n’est pas l’expression d’une pensée, mais un acte, un acte destructeur et parfois mortifère.

C – L’ÉTAT DU DROIT POSITIF EN FRANCE NE NOUS LAISSE PAS DÉMUNIS

LES INCRIMINATIONS

Le droit français tente de pourchasser le racisme dans ses diverses manifestations :
– les discriminations dans l’attribution d’emplois ou de logements, opérées en fonction de l’origine, du sexe, de la situation de famille, de l’état de santé, d’un éventuel handicap, des moeurs sexuelles, des opinions politiques, syndicales ou religieuses, de la couleur de la peau, sont réprimées par les articles 225-1 à 225-4 du Code pénal. Si la discrimination est le fait d’un fonctionnaire qui refuse un droit ou entrave une activité économique, l’article 432-7 est applicable et emporte des pénalités comprenant amende et prison ;
– les diffamations et injures sont poursuivies dans le cadre de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse, mais par dérogation au droit commun de la presse que nous évoquions hier et ce matin, en cette matière, aucune offre de preuves n’est possible et la bonne foi ne peut être prouvée.

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L’offre de preuves est impossible puisque la diffamation à caractère raciste procède d’une généralisation intellectuellement absurde : un défaut, une bassesse, une tare sont prêtés à une ou plusieurs personnes en raison de leur appartenance à un groupe.
Dans la diffamation raciste, il y a, par définition, une généralisation qui est de l’essence même du mensonge. Par définition, on ne peut pas faire la preuve d’un mensonge. Et précisément parce qu’il est absurde de dire (je prends exprès des exemples anodins) que toutes les françaises sont rousses ou que tous les méridionaux ont l’accent ou que tous les basques sont petits, l’allégation diffamatoire proférée à raison d’une différence est nécessairement faite de mauvaise foi avec l’intention de nuire.
– l’apologie de crimes de guerre ou de crimes contre l’humanité est également réprimée par la loi.
– la contestation ou la négation de crimes contre l’humanité est également punie depuis la loi Geyssot incluse dans la loi de 1881 sous l’article 24 bis.
Pourquoi ?

Parce que la négation des souffrances endurées de 1933 à 1945 par les victimes de la Shoah est une forme de l’antisémitisme : prétendre que les chambres à gaz et les fours crématoires n’ont pas existé, c’est affirmer que les juifs se plaindraient de crimes imaginaires pour tenter d’en tirer avantage. Telle est la thèse des obsédés de l’antisémitisme.

– Enfin la provocation à la discrimination, à la haine ou à la violence est réprimée par l’article 24 alinéa 6 de la loi de 1881. Les peines sont d’un an d’emprisonnement et de
300.000 Francs d’amende. La jurisprudence évolue dans un sens positif : ce délit, qui résulte d’une loi de 1972, a d’abord fait l’objet d’une interprétation très restrictive. Les tribunaux exigeaient, pour constater la provocation, la démonstration de ce qu’avait résulté des propos poursuivis un acte ou une réaction de discrimination, de haine ou de violence.

Ensuite, la jurisprudence s’est infléchie ; elle n’a plus exigé cette preuve mais s’est attachée au caractère « dynamique et entraînant » des propos poursuivis.
Aujourd’hui, pour que les propos soient punis, il suffit que, par leur teneur, ils aient été de nature à faire naître un sentiment de rejet, de retranchement.
Deux particularités encore s’attachent à ces délits dont le racisme est le moteur : ils sont exclus du champ de l’amnistie par les lois qui sont traditionnellement votées à l’occasion des élections présidentielles. Contrairement au droit commun de la presse, la récidive est prise en compte comme circonstance aggravante et des peines de prison ferme ont été prononcées contre des multirécidivistes.
A titre d’exemple, je crois utile de signaler quelques jurisprudences auxquelles j’ai eu l’honneur d’être personnellement associé :

– la condamnation de Monseigneur Marcel Lefèbvre,

L’évêque intégriste s’était séparé de Rome après le concile Vatican II.

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Il n’avait pas supporté, en effet, la définition du principe de « l’immunité religieuse » défini par les actes conciliaires de l’Eglise catholique.
De quoi s’agit-il ?
Sans renoncer à l’idée que le dépôt évangélique constitue la Vérité révélée, l’Eglise considère désormais que toute personne humaine qui s’achemine vers la transcendance ou la divinité selon les voies qui sont celles de la civilisation et de l’époque où elle est née, a droit au plus grand respect : personne n’est autorisé à faire violence à une âme.
S’enfermant dans une raideur orgueilleuse, le prélat n’hésitait pas, à la fin de sa vie, à développer des thèmes purement racistes.
Il avait ainsi déclaré : « un musulman ne peut pas être catholique. Donc il ne peut pas être vraiment français. »

Il avait ajouté : « Il faut empêcher les musulmans d’avoir des mosquées et des lieux de rassemblement, sinon ils finiront pas enlever nos femmes et nos enfants pour les mettre dans des quartiers réservés à Casablanca ».

En première instance, le tribunal a jugé que Monsieur Lefèbvre avait proféré une diffamation à caractère raciste en imputant aux musulmans l’éventuelle commission des crimes de rapt et de séquestration.

En appel, la cour a estimé que non seulement la diffamation raciste était constituée, mais que la première phrase (« un musulman ne peut pas être vraiment français ») constituait une provocation à la discrimination et à la haine raciales, puisqu’elle invitait les fidèles de Monseigneur Lefebvre à considérer qu’il fallait retrancher les musulmans de la communauté nationale.

Monsieur Lefèbvre est mort avant que la cour de cassation ait statué sur son pourvoi.

– TF1, Vincent Perrot et Philippe Bouvard
Au cours de l’émission « Les Grosses Têtes », Monsieur Vincent Perrot, amuseur public, avait posé une devinette que je répugne à rapporter ici :
« Qui a un costume de chauve-souris et qui vole comme ça avec une cape ?
– Réponse : « Batman »
– « Qui a des toiles d’araignée comme ça et qui fait comme ça ? »

– « Spiderman »

– ‘ »Qui a une grosse tunique et qui fait ça et qui vole entre les buildings ? »

– « Superman »

– « Qui vole de supermarchés en supermarchés ?  »

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– « Musulmane »‘. »

La cour a refusé de considérer que cette atteinte était excusable au prétexte qu’il se serait agi d’une simple plaisanterie.
Elle a ainsi refusé l’excuse de « l’humour dont le maniement ne peut être qu’extrêmement délicat dans un domaine qui touche à la préservation de valeurs dont l’histoire, mais aussi l’actualité, nous montrent la fragilité. Or dans le contexte des débats sur la délinquance dans les banlieues et sur l’immigration, la prudence dont des hommes de communication comme les prévenus -particulièrement informés pour au moins d’eux d’entre eux- devaient faire preuve ne permettait pas un humour dont les effets sont immaîtrisables. »
Si le directeur de TF1 et Monsieur Bouvard ont été condamnés, c’est parce que « l’émission en cause est un véritable « produit » qui se fait avec des professionnels et qui est retravaillée avant d’être diffusée ».

De la sorte, il appartenait au directeur de la chaîne et au responsable de l’émission de couper au montage cette plaisanterie détestable.
Les prévenus avaient mis en avant le fait qu’aucune lettre de réclamation ne leur était parvenue des auditeurs.
La cour stigmatise ce silence de la manière suivante :

« l’absence de toute réaction dont il est fait état est d’ailleurs une raison de se préoccuper plus que de se féliciter ».

Cet arrêt de la 11ème Chambre, Section A de la Cour d’appel de Paris du 27 mars 1996 n’a pas été cassé par la Cour de cassation.

– Patrick Sébastien et la chanson « Casser du noir » :

Monsieur Patrick Sébastien, amuseur public, dans une émission intitulée Osons, qui a été supprimée après cette procédure, avait choisi de faire venir Monsieur Le Pen sur son plateau et, pour obtenir ses réactions à chaud, de projeter un sketch où lui-même, Patrick Sébastien, était grimé en Le Pen et où il chantait face à une foule comme celle des concerts pop une chanson raciste dont le refrain était le suivant :
« Casser du noir,

Si ce soir j’ai pas envie de rentrer tout seul, Si ce soir, j’ai pas envie de rentrer chez moi, Si ce soir, j’ai pas envie de fermer ma gueule, Si ce soir, j’ai envie de casser du noir « .

Il disait encore : « J’peux plus croire tout ce qui a été dit sur les murs, J’peux plus voir les étrangers même en peinture, J’suis pas là pour leur fabriquer un pays …

Les bronzés, les marrons, vous tolérez qu’ils restent

Qui vous prennent pour des cons et puis qui vous détestent … Ça me fout tellement la haine que ça me réveille la nuit casser du noir  »

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Le choeur reprenait : « Casser du noir, allumez les briquets, on va leur foutre le feu « .
Pour sa défense, Monsieur Sébastien prétendait qu’il avait délibérément présenté une image odieuse de Monsieur Le Pen puisque c’était Monsieur Le Pen qui était censé chanter cette chanson ignoblement raciste.

Comme dans les affaires précédentes, la LICRA a décidé de poursuivre Monsieur Sébastien et de demander sa condamnation pour ces propos qui n’avaient rien à voir avec une plaisanterie, la Cour a jugé :  » il y a, en effet, un clair appel à la haine …  » et  » … la désignation du groupe de personnes à travers leur race et leur ethnie ».

La Cour conclut : « Il en résulte que les positions de haine raciale sont présentées à égalité avec celles de lutte contre le racisme, voire de façon plus chaleureuse … Il en ressort que l’on se trouve bien devant une incitation à la discrimination, à la haine et à la violence raciale, sans doute insidieuse, mais certaine.  »

Et la Cour de conclure : « En produisant et en diffusant une telle séquence, Patrick Sébastien et Patrick Le Lay étaient nécessairement conscients de ce qui en ressortait, étant des professionnels avertis de la communication. Ils ne sauraient prétendre à aucune bonne foi qui, du reste, n’est pas recevable dans ce domaine.  »
(Arrêt de la 11ème Chambre A de la Cour d’appel de Paris du 18 septembre 1996. Le pourvoi en cassation a été rejeté).

– Affaire Junin : le peuple juif, peuple déïcide :

En l’occurrence, il s’agissait de faire juger comme constituant une provocation à la haine antisémite, une phrase d’un lecteur du journal Sud-Ouest qui s’insurgeait de ce qu’il soit interdit désormais de reprocher au peuple juif d’être déÏcide alors qu’il serait responsable, selon lui, de la flagellation du Christ, du couronnement d’épines et de la crucifixion, « le peuple juif qui, 2.000 ans après, n’a toujours pas demandé pardon « .

La Cour d’appel d’Agen, à la demande de la LICRA, a jugé qu’en imputant des crimes, au demeurant commis par des romains, non pas à tel ou tel membre du peuple juif ayant vécu il y a 2.000 ans en Palestine, mais à l’universalité du peuple juif pris à travers l’histoire comme solidaire à travers tous ses membres du prétendu déïcide commis à l’égard de Jésus de Nazareth, Monsieur Junin avait proféré des propos de nature à faire naître un sentiment de rejet ou de dégoût à l’égard de tous les juifs.
Ainsi, la jurisprudence a-t-elle estimé pouvoir sanctionner des fantasmes religieux comme illégitimes dès lors qu’ils poussent à l’expression d’une pensée raciste incitant à la discrimination ou à la haine.

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– Le journal Rivarol : Avec un certain nombre de journaux d’extrême droite comme Présent, National Hebdo, et quelques autres, Rivarol fait partie des organes de presse régulièrement poursuivis à la demande de la LICRA.

Citons un exemple d’une jurisprudence significative : le Président de la République de l’époque, François Mitterrand, avait déclaré : « les étrangers travaillent en France et y travaillent bien ». Rivarol avait répété cette phrase et en dessous, sur plusieurs lignes, avait énuméré les noms qui par leur consonance révélaient une origine d’Afrique noire ou du Maghreb, avec en face, pour chacun d’entre eux, l’indication d’une condamnation prononcée pour crimes aux assises. Il n’y avait aucun autre commentaire.

Nous avons fait juger que la juxtaposition de la phrase du Président de la République et de cette sinistre liste n’avait d’autre but que de tenter d’imposer, par antithèse, l’idée que les étrangers ne seraient en France, quelles que soient leurs diverses origines, que pour y commettre des crimes. De la sorte, le journal avait choisi de faire naître un sentiment de haine ou de rejet à l’égard des populations immigrées ou issues de l’immigration. Rivarol a été condamné.

Je pourrais ainsi multiplier de longues heures des exemples de décisions de justice, comme celle de Madame Brigitte Bardot, au titre de ses propos sur les musulmans ou encore de Monsieur Roger Garaudy pour ses propos antisémites.
Un dernier mot à propos de la définition même de la loi.

La provocation punissable est celle qui est proférée envers une personne ou un groupe de personnes « à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée … « .

Le mot « race » employé dans la loi de 1972 et figurant dans la loi de 1881 apparaît, avec le recul, discutable. La loi nigérienne qui reprend l’incrimination contenue dans la loi de 1881 ne comporte pas le mot « race ». C’est la loi nigérienne qui a raison. Nous savons, en effet, que le mot « race » doit être banni puisqu’à partir de ce mot, on a dans le passé induit des hiérarchies, des différences, des justifications criminelles alors que le hasard des diverses couleurs, dont l’espèce humaine est revêtue ici ou là, n’emporte évidemment aucune différence d’aucune sorte. Prononcer le mot prête à confusion et fait croire qu’il pourrait y avoir derrière le mot une réalité alors qu’il n’y en a pas. Il faudra, un jour ou l’autre, faire la toilette de ces textes.

L’ACTION CIVILE DES ASSOCIATIONS

L’article 48-1 de la loi du 29 juillet 1881 sur la presse donne expressément pouvoir aux associations de se constituer partie civile dès lors qu’une diffamation ou une injure à caractère raciste a été commis, ou qu’une provocation à la discrimination à la haine ou à la violence a été consommée.
Les seules conditions de recevabilité tiennent à l’ancienneté de l’association : elle doit avoir cinq ans d’existence et s’il s’agit de l’atteinte subie par une personne en particulier, l’association doit avoir reçu par écrit l’autorisation de la personne concernée pour se constituer partie civile.

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De la sorte, les associations (LICRA, SOS RACISME, MRAP, Ligue des droits de l’Homme
… ) remplissant une fonction d’intérêt public, déclenchent des procédures que le Parquet n’aurait pas toujours songé à engager et, dans une synergie constructive avec les procureurs, contribuent au premier chef à cette pédagogie de la fraternité que permet à l’audience une réflexion publique sur les ressorts du racisme et la nécessité de sa répression.

LES DÉLITS OU CRIMES DE DROIT COMMUN À MOBILE RACISTE

Enfin, dès lors qu’un délit de droit commun ou qu’un crime a été commis qui a pour mobile le racisme, les associations qui se sont fixé comme objet social la promotion des droits de l’Homme et la lutte contre toutes les formes de discrimination ou de racisme, sont recevables à se constituer parties civiles.
Longtemps, cette constitution n’a été admise qu’au stade de l’audience publique et non pas à celui de l’instruction.

En 1994, à propos de l’assassinat d’un adolescent français musulman dont les parents étaient d’origine maghrébine, la LICRA s’est constituée partie civile à l’instruction. Le juge l’a déclarée irrecevable estimant que la preuve n’était pas faite du mobile raciste du crime. En appel, nous avons soutenu devant la Cour d’appel d’Amiens que la présence de la LICRA était précisément nécessaire pour tenter d’éclairer l’instruction sur la dominante raciste du mobile, laquelle ne serait acquise définitivement qu’après l’arrêt de la Cour d’assises. Nous empêcher de participer à l’instruction était en fait nier notre droit à nous constituer partie civile.

Dans son arrêt de 1994, la Cour d’appel d’Amiens a étendu le principe de recevabilité aux affaires en cours d’instruction. De la sorte, la LICRA a pu être ensuite présente dans les affaires criminelles instruites contre les assassins du jeune Bouaram jeté dans la Seine à l’occasion d’une manifestation du Front National à Paris et de l’assassinat d’un comorien par des colleurs d’affiche du Front National à Marseille.

Dois-je ajouter que les avocats qui interviennent pour la LICRA dans ces affaires le font à titre bénévole et ne reçoivent aucun honoraire ni défraiement à l’exception des frais de déplacement scricto sensu.

C’est leur fierté que ce témoignage fraternel d’un engagement qui porte ses fruits auprès d’une justice beaucoup plus attentive et sensible qu’on ne l’imagine souvent à la détresse des plus isolés ou des plus faibles, exposés de surcroît aux manifestations les plus basses de la haine ou du rejet.

Mais la loi peut varier vite !
L’expérience de 1940 en France nous le démontre : le grand juriste Barthélémy, spécialiste de la non-rétroactivité de la loi, défenseur des principes hérités de la Déclaration des droits de l’Homme de 1789, n’a pas hésité, comme garde des sceaux de l’État français, à cautionner plus de cent textes à compter de novembre 1940 dont la finalité était de retrancher de la communauté nationale des hommes, des femmes et des enfants coupables d’être nés juifs.

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Aujourd’hui, la banalisation d’un Front National dont le discours constitue une perpétuelle provocation à la haine raciste nécessite une vigilance de chaque instant et la plus grande solidarité avec les banlieues sans espoir, les victimes de violences policières ou les étrangers sans statut quoique père et mère d’enfants français.
L’un de nos amis, membre de l’association, noir d’origine bantou, ancien élève de l’ENA et directeur de banque, nous racontait qu’en rentrant un soir au volant de sa Mercedes, à son appartement du 7ème arrondissement, il a été brutalement sorti du véhicule par des policiers en civil : « Pour ces policiers, a-t-il dit, si un noir était au volant d’une Mercedes, c’est qu’il l’avait volée ! ». Cette phrase terrible me hante comme une justification supplémentaire du combat que nous devons mener sans faiblesse.
Le 21 mars 1996, Le Figaro titrait : « Selon un rapport remis au Premier Ministre, le racisme se réveille en France ». Suivaient des statistiques où il apparaissait une augmentation très nette de crimes et de délits xénophobes pendant l’année 1995.
Ce n’est pas l’apanage de la France qui est plutôt plus accueillante que bien d’autres pays développés. Simplement, tant que le feu couve ici ou là, nous n’avons pas le droit de prendre de repos.

II – LA LUTTE ET LA PÉDAGOGIE CONTRE LE RACISME DOIVENT ÊTRE INTERNATIONALES

Trois réflexions :
A – le droit positif de l’Etat souverain et les principes universels, B – la nécessité de conventions internationales,
C – la nécessité de juridictions internationales.

A – LES PRINCIPES FONDATEURS NE SONT PAS DU MEME ORDRE QUE LES DROITS POSITIFS

Le droit positif des Etats souverains est, par nature, variable. Voltaire l’écrivait déjà dans le

Dictionnaire philosophique à l’article « Délits locaux » :

« On peut être coupable en un ou deux points de l’hémisphère et absolument innocent dans tout le reste du monde. »
Le droit ne varie pas seulement dans l’espace, il varie dans le temps.
Certains de mes confrères avocats au Barreau de Paris, ont, dans leur jeunesse, plaidé aux assises pour des femmes jugées criminelles parce qu’elles avaient avorté. Les mêmes avocats, au soir de leur vie, peuvent être amenés à plaider pour des femmes et des hommes jugés délinquants parce qu’ils ont tenté d’empêcher des femmes d’exercer leur droit à avorter. Je ne prends pas partie. Je dis simplement que le droit peut varier en l’espace d’une vie d’un extrême à l’autre. Le droit positif n’est pas non plus toujours au service de la vérité. Il lui arrive de camper contre la vérité : jusqu’en 1972 en France, il était interdit d’établir en justice le lien de filiation entre un père et un enfant adultérin. Le droit contre la vérité ! Et l’on pourrait aussi prendre des exemples du droit campant contre la justice ou contre la morale.

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En revanche, depuis vingt-cinq siècles, a lentement émergé l’idée d’un ordre universel du droit supérieur aux droits positifs. C’est Antigone désobéissant à la loi de Créon au nom de la loi des dieux qui lui imposait d’enterrer son frère. Dans l’occident chrétien, ce sont les tentatives de la papauté pour imposer la trêve de Dieu et la paix de Dieu, au coeur de sociétés dévorées par les guerres et les massacres.
La deuxième guerre mondiale, les abominations commises au nom de l’idéologie nazie et de ses avatars régionaux donnent la mesure d’une catégorie pénale nouvelle, le crime contre l’humanité, défini par l’accord de Londres d’août 1945, accord par lequel les puissances alliées se sont fixé comme devoir, en face de crimes inégalés, d’en poursuivre les auteurs jusqu’à la fin des temps et jusqu’aux extrémités de la terre. André Frossard, encore, définit ainsi ce crime : « Il y a crime contre l’humanité lorsqu’on tue quelqu’un sous prétexte qu’il est né.  »
A contrario, l’insoutenable violence d’une telle injustice fait surgir la personne humaine comme valeur universelle suprême s’imposant à la terre entière
C’est l’objet de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et de celle, européenne, de
1948. Il est désormais établi dans tout l’univers qu’un être humain vaut un être humain ; que la personne est l’absolu auquel nul n’a le droit d’attenter.
Le vingtième siècle, plus fécond en massacres et en génocides que tous les siècles précédents, aura été, en même temps, et pour cette raison même, celui de la prise de conscience de ce que l’homme est à soi-même la seule valeur universelle de référence.

B – LES CONVENTIONS INTERNATIONALES EN MATIÈRE DE RACISME ET LEUR EFFET SUR LE DROIT POSITIF

1°) Les conventions internationales

La conscience universelle s’éveille mais les États individuellement renâclent.
La convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discriminations raciales est entrée en vigueur en 1969.
Elle dispose, en son article 4 :
« Les États parties condamnent toutes propagandes et toutes organisations qui s’inspirent d’idées ou de théories fondées sur la supériorité d’une race ou d’un groupe de personnes d’une certaine couleur, ou d’une certaine origine ethnique, ou qui prétendent justifier ou encourager toute forme de racisme ou de discriminations raciales. »
Ils « s’engagent notamment à déclarer délits punissables par loi toutes diffusions d’idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale … ».

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Ainsi, lorsque tel ou tel leader du Front National glose publiquement sur l’inégalité des races, il est en contradiction formelle avec l’état universel du droit tel qu’il résulte de cette convention.
Mais peut-on le poursuivre ?

2°) La réticence des Etats souverains

La France a ratifié le 28 mai 1971 cette convention entrée en vigueur en 1969.
Pour autant, elle n’a pas encore inclus dans son droit positif les dispositions conduisant à déclarer « délits punissables par la loi, toute diffusions d’idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale …  »
Le dispositif que nous avons passé en revue tout à l’heure, qui permet la répression des diffamations, des injures, de la provocation à la haine raciale et des discriminations dans le droit du travail ou le logement, ne sont pas suffisantes pour permettre de déférer à la justice quelqu’un qui affirme que les races ne sont pas égales. Il faut une loi nouvelle.
La LICRA s’est consacrée à tenter de promouvoir cette réforme législative. Tel était l’objet du projet de loi Toubon destiné à réprimer la propagande raciste. Ce projet semble être tombé aux oubliettes. Il avait pourtant un double mérite : l’unification du régime de poursuites de tous les délits à caractère raciste désormais inclus sous la dénomination de « diffusion d’idées fondées sur la supériorité ou la haine raciale » en même temps qu’auraient été placées sous le régime de prescription du droit commun (trois ans pour les délits) ces atteintes aux personnes, alors que les délits actuellement inclus dans la loi de 1881 sur la presse se prescrivent par trois mois.
Or, la Suisse, le 2 décembre 1994, se conformant à la convention, a créé deux articles nouveaux dans son code pénal (261 bis) et dans son code pénal militaire (article 71 C) qui sont la transcription exacte de la convention entrée en vigueur en 1969.
Mais la France – elle n’est pas la seule – tarde à se mettre en conformité avec les conventions internationales qu’elle a elle-même signées.

C – NÉCESSITÉ DE JURIDICTIONS INTERNATIONALES

Il est nécessaire de juger. Sans le jugement, la loi n’a pas de force ; « elle n’est qu’un précepte moral aussitôt bafoué par les cyniques » disait Georges Bernanos.
Certes, il existe des juridictions régionales :
– la Cour de Strasbourg chargée d’appliquer la convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme applicable à plusieurs dizaines d’États,
– la Cour de justice de Luxembourg qui n’est pas simplement destinée à appliquer le Traité de Rome à des conflits tarifaires, économiques ou commerciaux, mais qui a également dans son corpus juris la convention de sauvegarde.
Il existe des juridictions spécialisées :

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– le Tribunal Pénal International pour la Yougoslavie ou le Tribunal Pénal International pour le Rwanda.
Un grand espoir est né de la convention de Rome de juillet-août 1998 décidant la création d’une Cour Permanente Internationale. On connaît les résistances américaine et même française. De la convention internationale à son application pratique, combien fraudra-t-il encore d’années ?
Au surplus, ces juridictions internationales que sont les tribunaux pénaux ou la cour à venir n’auront pour fonction, dans un premier temps, que de réprimer des crimes sur les personnes physiques. Auront-elles un jour compétence pour réprimer la propagande d’idées racistes ?
Il sera pourtant nécessaire de l’envisager puisque dans le temps où Internet, cet extraordinaire instrument de rapprochement entre tous les hommes, s’étend à toute la terre, se trouve diffusées par son canal toutes les propagandes racistes, xénophobes, antisémites voire pédophiles comme un fleuve qui charrie aussi bien l’eau pure que la boue.
Or, s’il est possible en France de poursuivre les responsables d’un serveur situé en France parce qu’il abrite des messages réprimés par la loi, il est impossible de poursuivre aux Etats- Unis un serveur qui s’y est délocalisé et qui inonde le monde entier.

Le premier amendement américain sacralise en effet tout ce qui est de l’ordre de l’expression verbale ou écrite. N’importe qui peut dire et écrire n’importe quoi au nom de la liberté d’expression. N’est-ce pas une ambition vaine et démesurée que d’espérer contraindre les Etats-Unis à changer leur vision de la liberté, à réprimer la propagande raciste au négationiste sur Internet et à ratifier la convention de Rome instituant la Cour Permanente Internationale de Justice ?

CONCLUSION : LE DROIT CONTRE LA HAINE ?

« Le droit est l’intermède des forces », disait Paul Valéry. Un code s’abolit.
Un ordre peut se substituer à un autre.
Nous savons gérer les procès sur les crimes d’hier (Barbie, Papon, la Bosnie, le Rwanda). Nous n’avons pas d’arme pour prévenir ceux de demain.
C’est que le droit est impuissant contre les défaillances du coeur ou de la raison.
L’oeuvre majeure demeure toujours à accomplir : oeuvre sur soi-même et pédagogie fraternelle à l’égard des autres, des plus jeunes, ceux à qui il faut enseigner le vers du poète
: « Ô insensé ! qui crois que je ne suis pas toi ! « .

Laissons le dernier mot à Frossard qui l’écrivait si bien :

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« Tous ces crimes de la frénésie raciste ont une seule et même origine : le mépris de l’homme. Que la jeunesse prenne garde ! Qu’elle n’aliène jamais sa conscience au bénéfice d’un parti, d’une idéologie, d’un homme ! Qu’elle conserve comme la prunelle de ses yeux cette notion objective du Bien et du Mal que ses parents lui ont transmise, que ceux-ci l’aient reçue eux-mêmes d’une Eglise ou de la tradition humaniste, qu’elle vienne de la Bible ou de la Déclaration des droits de l’Homme ! « .
Car le volcan de la haine raciste n’est pas éteint. Le triomphe du droit n’est jamais assuré. Ce n’est pas le droit qui nous garde : c’est nous qui gardons le droit. Veillons ! Tel est notre devoir.

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