Un coup d’Etat

CCB/BF

28.11.03

Un coup d’Etat

A en croire le député Accoyer il faudrait nous défier des psychanalystes et des psychothérapeutes. Ces sorciers de l’âme, gagnés par des dérives commerciales et sectaires, commettraient de terrifiants dégâts au détriment de « populations fragiles » en multipliant les « erreurs de diagnostic » et en prescrivant des « traitements inadaptés ». L’entourage même de ces populations fragiles en serait menacé !

A l’appui de ce réquisitoire en sorcellerie, le député de Haute-Savoie ne cite aucun cas, n’évoque aucune condamnation ni même aucune poursuite. Mais comme il veut conjurer les sombres menées de ces électrons libres, dénoncés comme charlatans, il a exigé (et obtenu !) le vote d’un amendement aux termes duquel seuls des médecins psychiatres et des médecins psychologues pourront demain pratiquer la psychanalyse, la psychologie clinique et la psychothérapie.

Ceux d’entre vous qui ne sont pas médecins ne pourront continuer à pratiquer leur art qu’à la condition d’avoir été évalués et validés par une sorte de collège, nommé jury, composé de grands citoyens désignés par le pouvoir exécutif, sorte d’académie de Diafoirus.

Le « Manifeste « psy » » du 15 novembre 2003 a parfaitement stigmatisé cette espèce de coup d’Etat scientiste opéré pour le plus grand profit des laboratoires et des cliniques privés, secondés par des dispensateurs de psychotropes.

La médecine qui, selon la très heureuse formule de Jacques-Alain MILLER, « déploie une ingéniosité croissante à interroger le réel du corps » va-t-elle bientôt ne voir dans les mystères de l’âme qu’un accident chimique de l’organisme vivant et rester sourde à son pathétique discours ?

On lui donne en tout cas les moyens de l’étouffer. Les vers de Paul VALERY étaient-ils prémonitoires ?

« L’âme, l’âme aux yeux noirs touche aux ténèbres mêmes ;

Elle se fait immense et ne rencontre rien.

Entre la mort et soi quel regard est le sien ! »

Jusqu’à présent, entre la mort et l’âme, il y avait la parole.

Désormais, la parole est en danger, de celui qui la dit à celui qui l’écoute.

C’est à la liberté de la parole que l’amendement ACCOYER attente gravement, à sa dignité même.

Vous avez raison de le combattre. Avocat de la liberté, je suis très honoré d’être à vos côtés et de vous dire que les moyens juridiques ne vous manquent pas.

Cet amendement est d’abord d’une inadmissible insécurité juridique.

Relisons le premier alinéa :

« Les psychothérapies constituent des outils thérapeutiques utilisés dans le traitement des troubles mentaux. »

Monsieur le député ACCOYER s’autorise à définir les psychothérapies comme des outils thérapeutiques, ce qui revient à postuler que le patient d’un psychothérapeute ou d’un psychanalyste est un malade à soigner. La proposition n’a pas simplement des relents bourgeois fleurant le XIXème siècle Louis-Philippart, elle est bien plus dangereuse que stupide.

Qu’est-ce qu’un malade de l’âme ?

Qu’est-ce qu’une affection de l’âme ?

Et s’il me plaît d’aller en analyse, dois-je considérer que je suis un malade qui cherche à se soigner ? A se soigner de quoi ?

Le Code de la santé publique parle des troubles mentaux aux articles L 3211-1 et suivants dans le corps du chapitre intitulé : « Lutte contre les maladies mentales ». Mais définir les psychothérapies, comme l’a fait le député ACCOYER, exclusivement par référence aux troubles mentaux revient à décréter que le patient d’un psychanalyste ou d’un psychothérapeute est atteint d’un trouble mental.

C’est un postulat, une donnée première à laquelle il faut adhérer et qui ne se discute pas.

On peut dès lors frémir à la pensée des beaux fichiers confectionnés demain des « troublés mentaux » que la Sécurité sociale ne manquera pas d’établir. Vous aurez vu un psychothérapeute ou un psychanalyste : vous êtes donc un troublé mental et l’Etat ne vous perdra pas de vue.

Monsieur le député ACCOYER a-t-il prévu de faire définir le troublé mental par décret puisqu’il renvoie l’essentiel des modalités d’application de sa loi au pouvoir réglementaire, c’est-à-dire à l’exécutif ? Un décret va-t-il demain définir le trouble mental ?

Pour définir un trouble, il faut nécessairement définir la notion de ce qui est étal, avoir à l’esprit une idée de la norme. Il est donc indispensable de définir d’abord la norme mentale, le conformisme mental, une sorte d’état de santé mentale par référence auquel se définirait le trouble.

Monsieur ZARKA a parfaitement flairé le danger de cette loi liberticide, lui qui rappelle l’utilisation par les totalitarismes de la pratique psychiatrique.

Une définition de la norme mentale violerait immanquablement l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme qui consacre la liberté de pensée, de penser bien ou mal si cela veut dire quelque chose, de penser de travers, à contresens, à contretemps, à contre-norme, la liberté même de « souffrir-de-pensée » pour reprendre le mot magnifique de Jacques LACAN.

 

L’amendement ACCOYER est donc un exécrable texte.

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La loi pêche juridiquement une deuxième fois.

Relisons le début du second alinéa :

« Les différentes catégories de psychothérapie sont fixées par décret du ministre chargé de la santé. »

On vient de voir que la loi n’a pas défini les troubles mentaux. Elle s’est bien gardée de dresser une liste des affections que les psychothérapies auraient pour mission de traiter.

Mais elle veut que soient répertoriées et classifiées les pratiques de psychothérapie qui trouvent grâce à ses yeux (ce qui revient à proscrire les autres) tout en les appliquant à des affections non définies. Et ce qui est le plus stupéfiant, c’est que cette classification est laissée au soin du pouvoir réglementaire entre les mains duquel le législateur se défausse.

Professionnels et patients dépendent donc désormais de l’arbitraire du pouvoir exécutif.

Ce texte est fou.

Imagine-t-on, avant qu’eut été promulguée la loi de 1905 portant séparation de l’Eglise et de l’Etat, un texte de loi disposant :

« Les confessions constituent des outils de réinsertion utilisés dans le traitement des pêcheurs occasionnels ou habitudinaires, véniels ou mortels. »

Avec un alinéa 2 disposant :

« Les différentes catégories de magistères spirituels sont fixées par décret du ministre des cultes. »

Puis serait venu un décret instituant une Agence nationale d’accréditation et d’évaluation en santé spirituelle chargée de donner son label aux directeurs de conscience, aux maîtres de retraite et aux confesseurs.

L’Alsace-Lorraine, qui se trouve encore sous régime concordataire, devrait trembler : Monsieur ACCOYER va certainement fondre sur elle qui jusqu’à ce jour avait échappé à son omnipotente passion régulatrice.

Ma comparaison ne me paraît ni déplacée, ni outrée. Certes, les psychothérapeutes et les psychanalystes ne sont pas des prêtres. Mais ils partagent avec eux le service des esprits et des corps souffrants d’où jaillit cette parole qui libère, qu’elle soit mensonge ou vérité. Simplement le psychothérapeute n’exerce pas de magistère spirituel.

Et c’est pourtant son exercice à lui que l’on tente de juguler et de réduire dans une sorte de lit de Procuste.

L’insécurité juridique se double ici de l’arbitraire du pouvoir : on prétend classifier, pour les contrôler, les pratiques relatives au droit de chacun d’exprimer son intimité à un autre, les enfermer dans le carcan de règlements arbitraires sans fournir aucun critère objectif de ce qui définit la pratique ni de l’objet auquel elle s’applique.

Il s’agit proprement d’un monstre juridique.

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La dernière articulation du texte de Monsieur ACCOYER parachève le misérable édifice qui vient d’être analysé.

Parce qu’il a, à défaut de bon sens et de sensibilité juridique, un sens politique, Monsieur le député ACCOYER n’a pas voulu jeter sur le pavé ou sous les ponts quelques milliers de psychothérapeutes ou de psychanalystes qui ne sont pas médecins.

Il a perçu le fâcheux déduit dans lequel il se serait mis s’il avait fait encourir à la majorité le risque d’une révolte générale sur fond de problèmes sociaux.

Il a donc imaginé de faire valider le corps d’extinction que vous représentez, vous qui n’êtes pas médecins, par un jury chargé d’évaluer vos connaissances et vos pratiques.

Il vous dépossède de toute légitimité au regard du système qu’il instaure. Mais comme le Dieu de la prédestination janséniste, il veut, dans votre chute à tous, en rattraper quelques-uns à tout prix.

Le jury de votre rattrapage dépendra entièrement du pouvoir exécutif, c’est-à-dire du bon plaisir du gouvernement en place, puisque sa composition et son fonctionnement seront fixés par un arrêté ministériel élaboré conjointement par le ministre de la santé et par celui de l’enseignement supérieur.

Les Diafoirus conformistes qui ne s’écarteront pas de la ligne décideront de ceux d’entre vous qui méritent ou qui ne méritent pas de continuer à être utiles.

Cette aberration juridique supplémentaire qui fait dépendre une liberté fondamentale des choix de l’exécutif n’a suscité aucune réaction du corps législatif. Il est vrai qu’ils étaient treize députés à voter cet amendement un soir de grande fatigue.

Mesdames, Messieurs, nos libertés dépendent du plus ou moins grand entrain de nos législateurs à faire leur métier.

Votre révolte est la nôtre.

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Ce qui est en cause pour le juriste que je suis, c’est un détournement de la fonction de la loi contre les textes supranationaux auxquels notre droit interne est assujetti, c’est-à-dire contre les principes mêmes élaborés au cours des deux millénaires qu’il a fallu pour mettre la personne humaine au centre de tout dispositif juridique comme source et finalité du droit.

Vous êtes engagés dans un combat de la liberté contre l’oppression du pouvoir.

En conclusion de sa leçon inaugurale au Collège de France, le professeur Mireille DELMAS-MARTY a dit, le 20 mars dernier :

« En ces temps de discorde, l’appel aux forces imaginantes du droit est sans doute plus que jamais nécessaire et je me répète l’injonction de BACHELARD : « Trouver dans l’être à la fois le primitif et l’éternel ».

Monsieur le député ACCOYER vient de nous refuser à la fois le primitif et l’éternel.

Christian CHARRIERE-BOURNAZEL

Avocat au Barreau de Paris

Le 28 novembre 2003