MÉDICALISATION DE LA QUALITÉ DE LA VIE : APPROCHE HUMANISTE

CCB/VP

12.06.03

MÉDICALISATION DE LA QUALITÉ DE LA VIE : APPROCHE HUMANISTE

Mesdames, Messieurs,

Paul Claudel avait sûrement tort d’écrire :

« Il n’est rien pour quoi l’homme soit moins fait que le bonheur et dont il se lasse aussi vite ».

Les gigantesques progrès de la médecine accomplis au cours des deux derniers siècles ont permis :

– de guérir nombre de maladies ;

– d’allonger la durée de la vie ;

– d’annihiler quantité de souffrances ;

– de maîtriser l’entrée dans la vie, soit par la légalisation de l’avortement, soit par le coût de force donné à la nature en permettant la procréation là où naguère elle était impossible.

L’être humain recherche le plus grand confort, la plus grande sécurité physique et, dans la maîtrise de son corps, une relation harmonieuse avec lui-même, avec l’autre dans le plaisir et avec la vie donnée ou reçue.

Cependant, ce qui impressionne le plus, ce n’est peut-être pas la vitesse et la quantité des progrès effectués, mais la course poursuite entre la science, la morale et le droit : la science pose tous les jours de nouveaux défis en repoussant les limites, cependant que la morale s’interroge face à des cas jusque-là ignorés. La résultante est la règle de droit.

A Rabat, nous avions disserté de la qualité de vie et du pouvoir médical de la loi et de l’éthique. C’était le 31 octobre 2002.

Le monde, déjà, a changé puisque deux mois plus tard, on apprenait l’apparition sur la terre du premier clone humain. Vraie ou fausse, la nouvelle éveilla aussitôt des réactions particulièrement vives.

Je propose d’examiner successivement :

– les fondements modernes de la morale et du droit ;

– les conflits de valeurs autour de l’euthanasie, de l’embryon et du clonage ;

– et enfin, de donner quelques éclairages sur l’état actuel du droit positif français.

I – LES FONDEMENTS MODERNES DE LA MORALE ET DU DROIT

La civilisation occidentale a définitivement abandonné le religieux comme source de la morale et du droit pour placer au centre de tout dispositif de valeurs la personne humaine comme source et finalité de la règle.

Antigone s’opposait aux souverains au nom de la loi des dieux.

Avant même la fin des sociétés théocratiques telle la France de l’Ancien Régime, c’était déjà mise en place une conception quasi laïque de l’universalité de normes s’imposant à tous les hommes de la terre :

– Voltaire dans son Dictionnaire philosophique utilise l’expression de crimes contre l’humanité pour stigmatiser des actes qui révoltent la conscience universelle ;

– les déclarations des droits de l’homme, l’Américaine et la Française, ont vocation à l’universalité tout en se fondant non pas sur le religieux, mais sur la personne humaine.

Le XIXème siècle verra l’abolition de l’esclavage, le suffrage universel, les exaltations romantiques d’un Lamartine s’exclamant :

« Je suis concitoyen de tout homme qui pense :

La Liberté c’est mon pays ! »

Jusqu’à l’égalité tardive entre hommes et femmes enfin consacrée par la loi et le militantisme des droits de l’homme au long du XXème siècle qui pourrait adopter comme maxime le vers de Baudelaire :

« O insensé qui crois que je ne suis pas toi ! ».

Des disparités existent encore dans le traitement que l’on doit réserver aux êtres humains : ici l’on applique la Charria et là la peine de mort. Le vieux monde islamique théocratique comme la moderne Amérique ne sont pas sortis totalement des violences primitives.

Rien d’étonnant à ce que, en vertu des histoires différentes, des enracinements inégaux dans des cultures religieuses de la laïcité plus ou moins achevée des sociétés, les réponses ne soient pas immédiatement données à des questions aussi difficiles que l’avortement ou l’euthanasie, que la procréation assistée ou que le clonage.

Examinons les cas de conflits de valeurs avant d’envisager les réponses que leur rapporte le droit positif.

II – LES CONFLITS DE VALEURS

Dans un système de valeurs fondées sur la prééminence de l’ordre divin, il y avait peu de place pour les conflits de valeurs.

Au sommet de la hiérarchie, la volonté divine s’exprimant dans l’ordre naturel des choses. La conséquence en était que l’homme ne pouvait s’empêcher de porter atteinte aux vivants : « Tu ne tueras point » réglait à la fois le problème de l’avortement, de l’euthanasie et le cas de conscience qui pouvait s’imposer au médecin lorsqu’il avait à choisir entre la vie de l’enfant et la vie de la mère : la mort de la mère était dans l’ordre naturel des choses et tout devait être fait pour sauver l’enfant.

Toute autre est la problématique dans une société où Dieu se trouvant cantonné à la sphère intime de chacun n’est plus recevable à régir l’ordre du monde.

Pour autant, ne sont pas maîtrisés les conflits de valeurs comme le démontre l’examen du problème de l’euthanasie, du sort de l’embryon ou du clonage.

1) L’euthanasie

Dans les sociétés religieuses, Dieu est seul maître de la vie et de la mort. Tuer est donc un crime. Se tuer aussi, même si l’auteur du suicide échappe par définition à la justice humaine.

Pas complètement d’ailleurs puisque la dépouille du malheureux qui s’est suicidé était au XVIIIème siècle incinérée ; toute sépulture était refusée et l’infamie s’abattait sur tout le groupe familial.

Le choix de l’heure de sa mort est devenu aujourd’hui, pour un être humain, un droit fondamental. Il est même revendiqué comme le signe d’une dignité.

Mais peut-on se faire tuer par délégation lorsque l’on est physiquement dans l’incapacité de s’administrer à soi-même la mort et qu’on est capable de manifester une volonté claire et consciente ?

L’affaire Diane Pretty est tout à fait révélatrice.

En 1961 encore, le suicide était une infraction en Angleterre et au Pays de Galle.

Il ne l’est plus mais la loi anglaise interdit l’incitation au suicide sous peine d’un emprisonnement pouvant aller jusqu’à quatorze années.

En même temps, la jurisprudence admet qu’une personne puisse refuser d’accepter un traitement de nature à prolonger sa vie ou à la préserver.

Bien entendu, est toujours un crime le fait d’attenter à la vie d’autrui, c’est-à-dire le meurtre.

Diane Pretty avait donc le droit de mourir soit en se suicidant, soit en refusant qu’on lui administre des soins. Mais elle ne pouvait pas exercer son droit et demander à son mari de l’exercer pour elle, c’est-à-dire de commettre un meurtre avec son consentement.

Voilà le conflit de valeurs.

La Cour a dû trancher et a refusé, tout en exprimant qu’elle comprenait le drame de Diane Pretty.

Les motifs essentiels sont les suivants :

« Exiger de l’État qu’il accueille la demande, c’est l’obliger à cautionner des actes visant à interrompre la vie. Or pareille obligation ne peut être déduite de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme ».

La Cour constate que la Convention de sauvegarde n’oblige pas un Etat à cautionner des actes visant à interrompre la vie.

Quant à l’argument tiré de la discrimination dans la jouissance des droits entre les personnes valides et les personnes handicapées, la Cour a dit :

« La frontière entre les deux catégories est souvent très étroite, et tenter d’inscrire dans la loi une exception pour les personnes jugées ne pas être à même de se suicider ébranlerait sérieusement la protection de la vie que la loi de 1961 a entendu consacrer et augmenterait de manière significative le risque d’abus ».

Aucune référence à un absolu.

On peut en tirer les conclusions suivantes :

1) Le respect de la vie comme valeur fondamentale n’est pas exclusif du droit de chacun à décider de sa mort, soit par refus de soins, soit par un acte positif d’autodestruction. C’est une rupture nette avec l’ordre religieux chrétien qui instituait en pêché mortel l’acte du suicide.

2) Mais rien ne justifie le meurtre d’autrui, pas même la situation dramatique d’une personne handicapée qui ne peut, par elle-même, s’épargner le supplice d’une agonie. Le suicide par délégation n’existe pas. Le consentement au meurtre d’autrui n’enlève pas au meurtre sa qualification pénale.

Cette affaire est exemplaire en ce qu’elle clôt le débat ouvert sur l’euthanasie puisque la personne à propos de laquelle était posée la question de l’euthanasie n’était pas inconsciente ni en état de mort clinique, mais parfaitement en possession des ressources de sa volonté au point de pouvoir réclamer la mort au nom de son droit à sortir de la vie à l’heure de son choix.

La Cour a tranché : on peut se tuer. On ne peut pas se faire tuer même si l’on n’est pas physiquement capable de se tuer.

Quel est le fondement moral ou philosophique à cette règle ? Il n’est pas exprimé.

Seule est exprimée la crainte que par l’effet du précédent qu’aurait constitué l’autorisation de tuer donnée au mari de Diane Pretty, des abus puissent se généraliser.

Il est intéressant de mesurer le passage du fondement religieux d’une règle à son fondement laïc. Quand l’interdit vient des dieux, il n’y a ni transaction, ni accommodement possible : la loi humaine condamne en avant première du jugement dernier.

Dans l’ordre d’une morale laïque, le choix entre des valeurs qui s’opposent n’est arbitré qu’au coup par coup. Le droit perd de sa sécurité. Lorsque le conflit de valeurs est trop rude, on rigidifie le principe général non par respect d’une valeur fondatrice mais par crainte d’un recours abusif à l’exception.

Comme cette rigidité de la généralité se fonde sur un postulat pragmatique et non pas sur une valeur à caractère intangible, elle risque de ne pas tenir plus longtemps qu’une digue fissurée.

L’affaire Diane Pretty illustre parfaitement cette analyse.

Et pourtant l’arrêt émane de la plus haute juridiction.

La Cour de Strasbourg, en effet, est composée, comme vous le savez, de représentants de plus de cinquante pays ayant ratifié la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme.

Les juges qui composaient la Cour, pour l’affaire Pretty, étaient des nationalités suivantes : finlandaise pour le président, britannique, suédoise, polonaise, luxembourgeoise, andorrane et moldave. Six hommes et une femme.

Il n’est donc pas abusif de dire que cette jurisprudence représente un moment provisoire et fragile de la conscience collective européenne, même s’il illustre l’éthique commune à cinquante nations.

2) Le statut juridique de l’embryon

Plus significatif encore de cette fragilité est le conflit de valeurs autour de l’embryon. De la loi du 17 janvier 1975 sur l’avortement aux lois des 29 juillet 1994 sur la bioéthique puis jusqu’à la loi du 4 mars 2002, des débats extrêmement difficiles se sont instaurés.

a – l’avortement

La loi du 17 janvier 1975 relative à l’interruption volontaire de grossesse a d’abord affirmé le principe de l’assimilation du fœtus à un être humain. Son article premier dispose en effet : « La loi garantit le respect de tout être humain dès le commencement de la vie ».

Cependant, cette loi s’est placée dans une logique de mise en balance de ce droit avec la prise en compte de la situation de détresse de la mère et des dangers que celle-ci peut courir.

Elle a donc fixé des seuils comptés en semaines qui, même s’ils ont ensuite été repoussés, signifient implicitement que le fœtus doit se voir garantir une protection croissante en fonction de ses différents stades d’évolution.

Elle n’a pas pour autant rompu avec notre tradition juridique qui distingue l’être humain et la personnalité juridique. Celle-ci ne s’acquiert que par la naissance d’un enfant vivant et viable.

La Cour de cassation l’a réaffirmé par arrêt du 30 juin 1999 en refusant d’assimiler l’interruption de grossesse involontairement provoquée par un médecin à un homicide involontaire.

Le Conseil constitutionnel lui-même, dans une décision du 15 janvier 1975, avait estimé que la possibilité de porter atteinte aux droits du fœtus en cas de situation de détresse de la mère n’était contraire à aucun principe de valeur constitutionnelle et ne méconnaissait pas le principe énoncé dans le préambule de la Constitution de 1946 selon lequel la nation garantit à l’enfant la protection de la santé.

b – l’embryon « in vitro »

Mais le développement de la procréation assistée a posé à nouveau le problème de la nature de l’embryon « in vitro ».

Quel est son statut ?

Pour les tenants de la religion catholique, la personne humaine existe dès la rencontre des gamètes mâles et femelles.

Pour les protestants, l’embryon n’est « ni une personne à part entière, ni un objet biologique ». Une définition par une double négation ne peut être assimilée à une réponse satisfaisante.

Autant Bossuet pouvait-il frapper les esprits lorsque, parlant d’Henriette d’Angleterre et évoquant son futur cadavre en décomposition, il parlait de cette chose « qui n’a plus aucun nom dans aucune langue », à l’inverse est-il angoissant de ne pouvoir donner une réponse précise, fondée scientifiquement ou moralement cohérente la question de l’embryon, même congelé, qui se trouve suspendu dans le temps jusqu’à sa destruction ou à son épanouissement en personne humaine.

Ont été promulguées en France, le 29 juillet 1994, les lois dites de bioéthique. J’en reparlerai.

Cinq ans après, le 25 novembre 1999, le Conseil d’État en assemblée générale a émis un rapport de cent pages. Avaient été consultés nombre d’organismes comme le Comité consultatif national d’éthique pour les sciences de la vie et de la santé ou la Commission nationale consultative des droits de l’homme installée auprès du Premier ministre.

La maîtrise que la science a conquise sur l’embryon permet à la fois le clonage d’êtres vivants, l’assistance médicale à la procréation, des recherches destinées à combattre des maladies aujourd’hui incurables et donc permet d’améliorer la qualité de la vie. Chacun de ces domaines fait l’objet de débats et de règles que vous connaissez comme moi et dont la complexité révèle la difficulté du passage d’une morale fondée sur le religieux à une morale fondée sur les droits de la personne humaine.

Les conflits de valeurs à propos de l’embryon paraissent pratiquement insolubles.

Le Conseil d’État note en page 9 de son rapport :

« La question du « statut de l’embryon » symbolise probablement, à elle seule, les tensions et la difficulté du débat éthique suscitées par le développement des sciences de la vie. Cela peut s’expliquer d’abord par le fait que l’embryon pose d’une façon pure la question du respect de la vie dès son commencement. En effet, avec l’approfondissement des connaissances en matière de génétique, l’embryon symbolise désormais doublement la vie. »

Résultat de la fécondation du gamète de la femme par celui de l’homme, il porte potentiellement en lui la consécration d’un projet parental. Pour autant, n’est pas tranchée la question de savoir si l’embryon est, dès sa conception, une personne.

Ce conflit de valeurs particulièrement aigu conduit à rechercher un juste équilibre entre deux principes essentiels : le respect de la vie dès son commencement et le droit de ceux qui souffrent à voir la collectivité entreprendre les recherches les plus efficaces possibles pour lutter contre leurs maux, a dit le Conseil d’État.

Or, cette approche n’est pas nécessairement satisfaisante si l’embryon est une personne humaine, comment peut-on l’instrumentaliser, le réifier même s’il s’agit de soulager les souffrances d’un autre ?

Et s’il ne s’agit pas d’une personne humaine, comment expliquer ce processus continu d’hominisation qui en fait une personne potentielle ?

C’est la raison pour laquelle la loi du 4 mars 2002 n’a rien modifié au statut antérieur de l’embryon. Il est interdit de le livrer à des expérimentations qui ne soient pas en rapport avec le traitement de la maladie dont il est atteint ou l’épanouissement futur de sa propre vie.

c – le clonage

Les choses se présentent avec plus de netteté pour le clonage. Des résolutions ont été prises le 12 mars 1997 par le Parlement européen, le 14 mai 1997 par l’Organisation mondiale de la santé. Le 11 novembre de la même année, l’UNESCO a promulgué une déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme en affirmant : « Des pratiques qui sont contraires à la dignité humaine telles que le clonage à des fins de reproduction d’êtres humains ».

En Allemagne, au Royaume-Uni, en Espagne, la loi a expressément interdit le clonage.

Mais aux États-Unis, le Sénat ne l’a pas voulu. Seul l’État de Californie l’a proscrit.

Quant au Conseil de l’Europe, il a adopté le 12 janvier 1998 un protocole additionnel à la Convention d’Oviedo qui interdit « toute intervention ayant pour but de créer un être humain génétiquement identique à un autre être humain vivant ou mort ».

Pour ce qui concerne la France, le Conseil d’État avait relevé dans un rapport public de 1998 relatif aux droits de la santé :

« Il ne fait guère de doute que l’article 16-4 du Code civil contient déjà, dans sa rédaction actuelle, une interdiction « de jure » du clonage reproductif, car celui-ci porte évidemment atteinte à l’intégrité de l’espèce humaine et constitue une transformation des gènes dans le but de modifier la descendance de la personne, toutes choses formellement prohibées ».

Au demeurant, aucune référence n’est faite à un principe moral ou juridique qui justifierait la reproduction à l’identique d’un être humain, alors même que cette reproduction se fait sans attenter à un être (contrairement aux manipulations sur l’embryon) et alors même que la réalité d’une personne ne se confond pas avec ses caractéristiques génétiques et n’exclut pas les déterminants essentiels de la personne qui sont ceux liés à l’environnement et à l’expérience.

Le Comité national d’éthique estime, pour sa part, que les motifs avancés pour justifier le clonage reproductif chez l’homme « témoignent d’une fantasmatique et intolérable instrumentalisation de l’être humain ».

Que dire alors des recherches sur l’embryon ?

Il vaudrait mieux stigmatiser avec force le clonage en raison de ses dérives possibles. Il serait, en effet, intolérable que les sociétés l’organisent pour sélectionner la venue au monde d’êtres réputés supérieurs par rapport à des êtres présumés inférieurs.

L’interdiction du clonage s’inscrirait alors dans la prohibition de toute discrimination entre les êtres humains en raison de la couleur de la peau, de l’origine ethnique, des capacités intellectuelles ou encore de l’appartenance à un groupe conçu comme moins digne qu’un autre d’exister.

 

III – LE DROIT POSITIF ACTUEL ET L’AVENIR

En réalité, la course-poursuite entre les progrès de la science et l’adaptation ou la résistance du droit aux conséquences de ce progrès ont rendu nécessaire la constitution des comités d’éthique et des commissions de toute sorte comme la Commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal ou la Commission consultation des Droits de l’homme auprès du Premier ministre. Je vous propose une petite revue de l’état du droit positif en France.

A – L’ÉTAT DU DROIT POSITIF

Le code civil, en ses articles 16 à 16-13, incluant le code de la santé publique, donne l’état du droit positif sous le titre du chapitre 2 « du respect du corps humain ».

– la primauté affirmée de la personne

L’article 16 proclame :

« La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie ».

Cette pétition de principe fait immédiatement l’objet d’une restriction concernant l’IVG instituée par la loi du 17 janvier 1975 et d’une seconde restriction émise par le Conseil constitutionnel le 29 juillet 1994 qui a dit qu’il ne lui appartenait pas de remettre en cause les dispositions par lesquelles le législateur a estimé que le principe du respect de tout être humain dès le commencement de sa vie n’était pas applicable aux embryons fécondés « in vitro ».

De la même manière, des textes particuliers s’appliquent aux embryons et aux fœtus.

– l’interdiction de tout commerce à propos du corps

L’article 16-1 proclame que chacun a droit au respect de son corps. Il ajoute :

« Le corps humain est inviolable. Le corps humain, ses éléments et ses produits, ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial ».

Et comme conséquence de cette deuxième pétition de principe, toute convention ayant pour effet de conférer une valeur patrimoniale au corps humain à ses éléments ou à ses produits est nulle.

De même, toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle.

– l’anonymat des dons

Est consacré le principe de l’anonymat des dons. Le donneur ne peut connaître l’identité du receveur ni le receveur celle du donneur.

Problème terrible lorsque l’enfant né d’un gamète inconnu revendiquera au nom de ses libertés fondamentales le droit de connaître ses origines, comme en matière d’accouchement sous X. Une exception déjà est réglementée : celle qui concerne des informations concernant, dans l’intérêt même de la personne, son patrimoine génétique.

– sur le clonage

Enfin :

« nul ne peut porter atteinte à l’intégrité de l’espèce humaine. Toute pratique eugénique tendant à l’organisation de la sélection des personnes est interdite. Sans préjudice des recherches tendant à la prévention et au traitement des maladies génétiques, aucune transformation ne peut être apportée au caractère génétique dans le but de modifier la descendance de la personne ».

– le respect dû à l’embryon

Quant au code de la santé publique, il dispose :

« Un embryon humain ne peut être conçu ni utilisé à des fins commerciales ou industrielles (L.2141-7) ».

L’article 2141-8 le complète :

« La conception in vitro d’embryons humains à des fins d’études, de recherches ou d’expérimentations est interdite. Toute expérimentation sur l’embryon est interdite. A titre exceptionnel, l’homme et la femme formant le couple peuvent accepter que soient menées des études sur leurs embryons. Leur décision est exprimée par écrit. Ces études doivent avoir une finalité médicale et ne peuvent porter atteinte à l’embryon. Elles ne peuvent être entreprises qu’après l’avis conforme de la commission mentionné à l’article L.2113-1 (commission nationale de médecine et de biologie de la reproduction et du diagnostic prénatal) ».

Ainsi se trouve réglé provisoirement en France le débat sur l’embryon congelé sur lequel n’existerait plus de projet parental. Ces dispositions qui datent de 1994 n’ont pas été modifiées par la réforme du 4 mars 2002.

Pour autant, la France tiendra-t-elle longtemps le cap alors que ses voisins européens autorisent les recherches sur des embryons congelés ?

Résoudra-t-elle les contradictions qui d’un côté tendent à obtenir une libéralisation toujours plus grande du droit à avorter et le respect de l’embryon comme personne humaine en devenir ?

B – LES ÉVOLUTIONS PRÉVISIBLES

Un projet de loi en discussion à l’Assemblée Nationale a été examiné par le Sénat le 3 février 2003.

Ce projet vise non pas à rendre les choses plus faciles mais, au contraire, à renforcer la protection de l’humain.

Le Sénat a proposé :

– de développer l’information diffusée par les médecins en cas de diagnostic d’une anomalie génétique grave et pour favoriser les dons d’organes post-mortem afin de limiter les dons d’organes entre vivants ;

– de préciser la qualité des personnes qui peuvent consentir à un don d’organes au profit d’un proche afin d’éviter le commerce d’organes ;

– de supprimer dans le cadre de l’assistance médicale à la procréation la possibilité ouverte par l’Assemblée Nationale de transferts d’embryons post-mortem : de trop graves questions éthiques et psychologiques se posent à propos de la mise au monde consciente d’un orphelin ;

– de rétablir l’exigence supprimée par l’Assemblée Nationale d’une durée de vie commune d’au moins deux ans pour qu’un couple puisse recourir à l’assistance médicale à la procréation ;

– d’infirmer l’interdiction de principe de la recherche sur l’embryon humain.

Toutefois, la porte est ouverte sous la forme d’une dérogation pour cinq ans autorisant des recherches sur l’embryon et les cellules embryonnaires.

– d’interdire la création d’embryons à des fins de recherches, quelles que soient les nouvelles techniques d’assistance médicale à la procréation ;

– d’instituer en crime le clonage reproductif et même d’interdire expressément un clonage thérapeutique qui pourrait ne pas voir un effet incitatif ;

– de réprimer la provocation ou la publicité au clonage institué en crime.

C – QUEL AVENIR ?

Monsieur Christian Byc, magistrat, secrétaire général de l’association internationale Droit, Éthique et Science, a résumé les limites de ce droit que je définissais comme contingent et fragile au début de cet exposé lorsqu’il est confronté à la nécessité d’une réalité scientifique obligeant à repenser « le contenu et les contours de ce qui est humain », il écrit dans une chronique :

« Fixer des équilibres entre les intérêts en cause, souvent revendiqués avec force, dégager des cohérences entre les principes, qui s’imposent à lui, et des pratiques qu’il ne maîtrise pas, n’est non seulement pas chose aisée pour le droit, mais fait parfois douter de ses capacités, voire de sa légitimité, ಠintervenir dans ce débat ».

Le droit, disait Paul Valéry, est l’intermède des forces. Il agit comme un levier et les forces ont raison de lui, le contraignant à se repenser et à se modifier.

En revanche, la morale elle-même et l’éthique doivent trouver leur profil d’équilibre pour ne pas être perpétuellement dépassées par des progrès inattendus ou des conflits de valeurs.

L’éthique suit nécessairement une pente haute.

Jean Bernard disait dans son livre La Bioéthique (édité chez Flammarion dans la collection Domino) :

« La France a l’honneur d’avoir été, après 1945, le premier pays à refuser la vente du sang et à en organiser le don ».

Et il ajoute que cette éthique du don du sang a ensuite été étendue aux organes donnés et non vendus.

Le Code civil, avons-nous vu, a étendu ce principe de gratuité en déclarant nuls tous les contrats relatifs aux transplantations ou à la procréation.

C’est un premier principe : ce qui est de l’ordre de l’humain ne peut faire l’objet d’un commerce.

On ouvre ici éventuellement le débat sur la brevetabilité du corps humain et des inventions. Un des premiers principes éthiques doit reposer sur ce postulat de la gratuité.

Un second principe est celui du refus de toute instrumentalisation de la personne ou plus largement, du vivant.

Le débat sur le sort des embryons congelés à propos desquels il n’existerait plus de projet parental fait froid dans le dos. Cette forme d’abandon qui ferait passer l’embryon du statut de personne possible à celui d’objet d’expérimentation s’inscrit très exactement dans cette instrumentalisation que le droit positif français refuse.

Eviter la corruption par l’argent, refuser l’instrumentalisation du corps sans entraver pour autant la recherche au nom de certaines rigidités morales, voilà les grandes difficultés auxquelles nous sommes confrontés.

L’importance des comités d’éthique au sein des instituts de recherche est évidente. Elle perdurera aussi longtemps que nous flotterons entre l’efficacité et la morale.

CONCLUSION

Que conclure ?

Les avancées de l’esprit scientifique engendrent une maîtrise toujours plus grande de l’intelligence humaine sur le réel et sur le vivant. La montée en puissance d’une morale universelle se fait lentement. Du même coup, en ce domaine, le droit est plus vite décalé que partout ailleurs.

Entre les poussées de la science et le droit se situe l’éthique.

Pour chaque acteur ayant un pouvoir, l’éthique procède à la fois de l’humilité et du respect de l’autre.

Aucune législation au monde ne peut tenir lieu de conscience.

Les temps passés l’ont montré. La civilisation la plus élaborée qui avait fourni les plus grands philosophes, les plus grands musiciens, les plus grands écrivains a organisé aussi l’extermination d’êtres jugés indignes de vivre.

Nous ne devons jamais l’oublier.

Pour autant, aucune loi n’érige aucune digue définitive.

Monsieur Christian Byk, magistrat déjà cité, écrit :

« La révision des lois de bioéthique, comme l’internationalisation du droit des sciences de la vie, porte en elle ce risque de manichéisme, mêlant reconnaissance affectée à l’égard du « bon savant » et condamnation absolue des « bandits de la science ».

Or, c’est sur l’arbre de la connaissance qu’Ève prit la pomme et nous ouvrit le chemin, sans retour, de la liberté ».

Cette conclusion optimiste ne saurait nous faire perdre de vue que la liberté comme la lumière n’a pas de prix mais cette phrase mérite réflexion si, comme le disait Aragon :

« Je dois payer le prix de la lumière de mes deux yeux crevés ! ».

Paris, le 12 juin 2003

Christian Charrière-Bournazel