Obsèques du bâtonnier Francis Mollet-Viéville

Madame et chère Yolaine, Monsieur et cher Ghislain, chers Patrick et Thierry, mes confrères et amis,

Ce dimanche 18 mai 2008, Francis Mollet-Viéville, votre père et notre bâtonnier, nous a provisoirement quittés.

Je dis provisoirement tant était forte sa foi chrétienne.

Le 8 octobre 1995, il avait écrit une lettre, conservée sous pli fermé à l’Ordre, pour n’être ouverte qu’à l’occasion de son décès. Il y exprimait ses derniers souhaits. Elle se termine par les mots suivants :

« Je n’ai guère de mérites tant le Bon Dieu fut bon et indulgent à mon égard et, surtout, dans la mesure où il m’a permis d’avoir une foi inébranlable qui m’a permis, elle-même, de « passer » sur terre – en cherchant à être utile aux autres – en attendant de retrouver le Père pour l’éternité. »

La belle vie du bâtonnier Mollet-Viéville a baigné dans la lumière de cette foi héritée de l’enfance à laquelle il est demeuré d’une « fidélité sans faille », comme l’avait dit le bâtonnier René Bondoux au moment de lui remettre les insignes de Commandeur de la légion d’honneur.

Il avait ajouté, s’adressant directement à lui :

« Sous le signe de cette foi, vous accepterez – tout au long des années – votre lot quotidien de succès, d’harmonie, de félicité, mais avec humilité et surtout un constant souci d’altruisme ».

Né le 20 mars 1918, quelques mois avant la fin de la Grande

Guerre, Francis Mollet-Viéville apportait à ses parents le réconfort de sa venue au monde, un an après qu’eut été tué Jacques, son frère aîné, engagé volontaire à 17 ans.

Cette belle et noble famille picarde avait compté un Secrétaire du Roy, commissaire des guerres, des hommes ayant cultivé de génération en génération le service des autres, jusqu’à son propre père, avocat lui- même, professeur à l’Ecole centrale, écrivain et pianiste de très grand talent. Le bâtonnier Francis Mollet-Viéville avait hérité ses qualités d’honnête homme et les a cultivées lui-même tout au long de sa vie.

Elève du cours Saint-Louis, de Sainte-Marie de Monceau et du lycée Carnot, Francis Mollet-Viéville avait mené de front des études littéraires à la Faculté des lettres et des études juridiques à la Faculté de droit où il recueillit l’enseignement de Julliot de La Morandière et d’Henri Solus.

C’est à la faculté qu’il rencontra Denise Chedeville, fille du directeur d’une des plus grandes banques françaises et nièce du grand physicien Henri Becquerel. La guerre de 1939 différa leur mariage dont ils étaient convenus pour s’être fiancés en secret.

Mobilisé et affecté à l’unité de cavalerie montée, Francis Mollet- Viéville fut reçu major de sa promotion à l’Ecole de Cavalerie de Saumur en janvier 1940. Il noua à ce moment-là une amitié qui ne faillira jamais avec Maurice Druon, l’auteur du « Chant des partisans ». Il partageait avec lui le souci de l’honneur et le service de la patrie. Ecoutons ce qu’il disait de lui :

« Si je veux avoir une image du parfait élève officier, je me remémore celle, appuyée au bar, de Francis Mollet-Viéville, qui serait notre major de promotion. Mince, sec, aimable et assuré, ce futur bâtonnier et membre du Conseil constitutionnel, nous éblouissait par ses bottes parfaitement ajustées à ses mollets de coq et par une sacoche de cuir fauve qui contenait un appareil de radio. Cette radio portable nous paraissait la pointe de la modernité élégante. Grâce à cet instrument, Francis nous apprenait les nouvelles. »

 

Francis Mollet-Viéville se bat avec ses cavaliers comme chef d’escadron auprès de la Loire, et malgré les revers de notre malheureuse armée, fit face avec son unité, dans l’ordre et la dignité.

Démobilisé en 1941, marié avec Denise à l’époque de son vingt- troisième anniversaire, il se consacra au métier d’avocat. Il avait prêté serment au mois de juillet 1939. Il rejoignit le prestigieux cabinet de Marcel Poignard, futur bâtonnier, pour s’intégrer à une équipe très remarquable composée de Paule Piquemal, René Hild, Yves Jaffré et bien d’autres. Marcel Poignard fit une lettre de satisfecit à ce stagiaire d’exception en 1942.

Ne s’engageant jamais à demi, Francis Mollet-Viéville s’investit dans les concours de la Conférence. Secrétaire général des conférences Berryer, Demolombe, Tronchet, il tente l’aventure de la grande Conférence dès sa première année de stage. Il manque de peu d’être placé parmi les douze de la promotion qui a pour premier secrétaire Jean Coutard et pour deuxième secrétaire Pierre Marcilhacy.

Mais cette promotion 1942 va connaître un sort unique : quatre des secrétaires la quittent : les deux premiers deviennent avocats aux Conseils, André Tunc est nommé professeur de droit, et Jacques Tanchot choisit la magistrature.

Francis Mollet-Viéville a le choix de concourir à nouveau pour une place de premier secrétaire dont il était à l’évidence digne ou devenir le douzième de cette promotion à seize secrétaires ! Il n’y a pas de vanité en lui. La guerre suspend le concours et il préfère être utile, toute de suite, à la place de douzième. C’est lui qui va en faire une place d’honneur : il crée l’Association des douzièmes secrétaires, organise de multiples dîners de promotion et, parce qu’il a le sens de la fidélité chevillé au corps, ce qu’il crée devient institution.

Cette promotion exceptionnelle a réuni d’éminents avocats : Bernard Baudelot, François Cathala, Jacques Savignac, Gilbert Olivier, Germaine Sénéchal et Claude Montigny. Ils assureront pendant les années sombres de l’occupation la défense des résistants et des martyrs des sections spéciales.

Pas un ne faillira.

Une fois la paix revenue, ce travailleur forcené, homme de talent et de cœur, constitue un cabinet prestigieux. Pour autant ne s’y retrouvent ni dossiers ni clients hérités de son père. C’est à ses mérites propres que Francis Mollet-Viéville doit d’avoir réussi sa vie professionnelle.

Il plaide dans l’affaire des rebelles de Madagascar, contre les criminels de l’occupation et aussi bien devant les juridictions commerciales pour les affaires importantes que lui confient des banques ou des laboratoires. Il ne dédaigne pas pour autant la défense des intérêts familiaux, attachant la même ferveur et le même soin aux plus humbles comme aux plus puissants.

Francis Mollet-Viéville, un avocat d’exception.

Vice-président de l’Union des Jeunes Avocats, fondateur de la Mutuelle des Avocats de France, membre du comité directeur de l’Association Nationale des Avocats, il est élu au conseil de l’Ordre en

1960. Le bâtonnier le nomme secrétaire du conseil.

Son activité ne connaît pas de répit : avocat passionné, il était en même temps un homme de mesure et d’humanité. Tout naturellement on le choisissait comme arbitre. Il deviendra en 1987 président de l’Association Française d’Arbitrage.

A travers ces missions d’intérêt général auxquelles il s’attacha avec intelligence, dévouement et un esprit créateur hors du commun, il se préparait à devenir le bâtonnier de l’Ordre. Bernard Lasserre l’avait précédé à cette fonction. Je cite son nom avec dévotion et tendresse : c’est lui qui reçut mon serment et fut le bâtonnier de ma promotion de la Conférence. Et le bonheur voulut que la rentrée solennelle de 1976 fut présidée par Francis Mollet-Viéville qui venait de prendre ses fonctions. Ces deux bâtonniers successifs furent, pour nous, jeunes secrétaires, des bâtonniers exemplaires. Touchés de leur bienveillance paternelle, nous ne pouvions qu’admirer la haute idée qu’ils se faisaient de notre honneur commun et leur énergie à le servir.

Le bâtonnier Mollet-Viéville s’est dépensé sans compter pour notre profession et pour sa modernisation. Ses innovations, qui durent toujours, sont multiples :

– le Bulletin du bâtonnier, hebdomadaire, devenu Bulletin du barreau, qui rend compte aux avocats du travail de leurs élus,

– la réunion des Barreaux de l’Ile-de-France pour harmoniser la déontologie et resserrer les liens entre les avocats de la région parisienne,

– un service d’entraide doté de deux assistantes sociales,

– un service de communication disposant d’une attachée de presse,

– rendez-vous à jours fixes avec les magistrats, les directeurs administratifs de l’Ordre, les présidents de groupements professionnels, les groupes politiques, les représentants des

avocats honoraires, des compagnies judiciaires, de la mutuelle des avocats, etc.

– l’action parlementaire du barreau de Paris,

– le bureau pénal, l’institution de l’avocat de garde et du membre du conseil de l’Ordre de permanence pour les confrères,

– SOS-Avocats sous forme d’une permanence téléphonique tenue par trois confrères tous les jours de 18 heures à 24 heures,

– consultations gratuites dans chaque mairie deux fois par semaine,

– séances du conseil de l’Ordre, lorsque nécessaire, le matin à 9 heures.

C’est encore lui qui se battit avec succès pour alléger la fiscalité des nouveaux avocats honoraires en leur permettant de s’acquitter de leurs obligations en trois ans.

En 1976, nous l’avons suivi dans les rues de Paris en robe, pour une marche jusqu’à la place Vendôme, lorsque faute d’avoir été entendu, le barreau dut manifester son unité et sa détermination.

Son rayonnement personnel fut tel qu’il obtint, lors de la rentrée de 1977, que le président de la République honore cette cérémonie et y prononce un discours en réponse au sien. C’est encore lui qui sut faire venir au conseil de l’Ordre un ministre de la Justice, garde des sceaux, pour qu’il s’exprime devant les représentants des avocats de Paris.

Francis Mollet-Viéville fut un bâtonnier de rayonnement.

Le respect qu’il inspirait conduisit le président Jacques Chaban- Delmas à le désigner comme membre du Conseil constitutionnel pour le temps restant à courir du mandat de Pierre Marcilhacy, son camarade de promotion de la Conférence, décédé. En cette année 1987, il ne déserta pas pour autant notre conseil de l’Ordre.

Avocat toujours, avocat partout, Francis Mollet-Viéville n’accomplissait pas une carrière mais remplissait un service éminent dans l’intérêt de la justice et du droit, à quelque endroit où le sort le plaçait. Ceux qui l’ont bien connu pour avoir été ses collaborateurs, de Geneviève Augendre au bâtonnier Mario Stasi, ou ses amis de cœur comme Georges-Antoine Chresteil et notre regretté Pierre-André Renaud, ont tous témoigné de cette générosité sans feinte dont le bâtonnier René Bondoux disait qu’elle le rendait omniprésent avec Denise, son épouse,

« auprès de ceux qui attendent le secours d’un geste, d’un mot, d’un encouragement ou d’une simple attention. »

Nous n’oublierons jamais son souci des autres qu’il n’a cessé de manifester, par pure générosité de cœur : à chaque accident de la vie, heureux ou malheureux, il prenait le temps et le soin, à l’aide d’une lettre ou d’un mot, de manifester qu’il était présent pour partager la joie ou la peine.

Nous ne l’oublierons pas.

A l’heure où le barreau, tout entier rassemblé dans la tristesse, le voit s’éloigner, qu’il me soit permis de lire la fin de cette lettre du 8 octobre 1995 dont je parlais en commençant :

« Ne soyez pas tristes ! Je suis heureux », a-t-il écrit.

« …et, si je puis, et d’où je serai, je continuerai à chercher à aider ceux qui seront encore sur terre. Que mon modeste exemple puisse leur être de quelque utilité. En toute simplicité, je vous quitte, joyeux, en vous disant « à bientôt »… mais rien ne presse ». »

Monsieur le bâtonnier, au moment où sont réunis autour de votre cercueil vos deux familles, celle de vos enfants et petits-enfants et celle de votre barreau, recevez l’hommage désolé des uns et des autres. Laissez-nous vous exprimer notre reconnaissance pour ce que vous avez été, pour ce que vous avez réalisé et pour cette dernière et splendide leçon de sagesse que vous nous prodiguez.

Vous avez écrit que vous partiez joyeux.

Le moment venu, c’est à cette joie que nous vous reconnaîtrons et c’est elle qui, aujourd’hui, conforte notre espérance.

 

Lundi 26 mai 2008

Christian Charrière-Bournazel

 

Bâtonnier de l’Ordre