Conférence organisée par l’Association française des docteurs en droit
PERSPECTIVES POUR L’AVOCAT FACE AU DÉVELOPPEMENT DE LA PROTECTION JURIDIQUE ?
COMMENT PERMETTRE UNE COHABITATION OPTIMALE ENTRE INTÉRÊTS DES JUSTICIABLES ET INTÉRÊTS DES ASSUREURS ?
Les contrats de protection juridique ont été salués comme une nouvelle voie d’accès à la justice méritant à ce titre d’être encouragée. Elle doit cependant être repensée :
1) l’avocat est exclu de la phase pré-contentieuse, comme si l’avocat était conçu comme un sinistre dans le sinistre ;
2) les barèmes imposés aux avocats correspondants habituels des entreprises de protection juridique sont insuffisants et constituent, malgré le principe de libre choix de l’avocat par l’assuré, une pratique de prix prédateurs et une barrière à l’entrée sur ce marché.
– L’INTERVENTION LIMITÉE DE L’AVOCAT, SINISTRE DANS LE SINISTRE
Les contrats de protection juridique excluent l’intervention de l’avocat dans la phase précontentieuse de négociation.
Or, l’intervention de l’avocat n’a pas pour effet de faire échec à une négociation au prétexte d’engendrer l’opportunité d’un procès, mais d’optimiser les résultats que peut légitimement espérer l’assuré.
Il ne s’agit pas d’empêcher l’assureur de donner des informations juridiques par téléphone à ses assurés qui les lui demandent, ni de manifester quelque défiance que ce soit à l’égard du juriste salarié de l’entreprise d’assurance qui peut utilement conseiller son client lorsque ses intérêts personnels d’assureur ne sont pas en jeu.
En revanche, les assureurs sont-ils toujours vigilants sur le conflit d’intérêts qui peut se présenter à eux sous diverses formes ?
Un cas de conflit d’intérêts concerne plus précisément le contrat de protection juridique : l’assureur a intérêt à pousser à une négociation réussie grâce à des renoncements, plutôt que de faire les frais d’une négociation (et à plus forte raison d’une procédure) – même tarifée – qui lui coûterait de l’argent sans le faire bénéficier de l’avantage pécuniaire supplémentaire obtenu par l’assuré par rapport à la proposition négociée sans avocat.
Pour cette seule raison, l’assureur ou l’entreprise de protection juridique devrait s’abstenir de négocier comme mandataire d’un assuré, alors même que ses intérêts d’assureur ne se confondent pas avec ceux de l’assuré, voire s’y opposent.
– BARÈMES INSUFFISANTS ET PRIX PRÉDATEURS
La loi impose à l’assureur de protection juridique de laisser à son assuré le libre choix de son avocat.
Mais ce libre choix demeure illusoire.
Dès lors que le contrat de protection juridique prévoit un plafond de garantie qui ne fait aucune distinction entre les divers débours et les honoraires proprement dit de l’avocat, l’information de l’assuré est insuffisante.
Surtout, les barèmes pratiqués par les assureurs de protection juridique vis-à- vis de leurs avocats habituels sont totalement insuffisants par rapport aux charges d’un cabinet.
Les avocats correspondants habituels, en situation de dépendance par rapport à leur prescripteur, peuvent espérer se rattraper sur le nombre.
L’avocat choisi de manière ponctuelle par un assuré ne peut pas aligner son prix, à peine de travailler à perte, sur le barème de l’assureur.
Il s’en évince deux conséquences :
* l’avocat choisi passe aux yeux de l’assuré pour un malhonnête par rapport à l’avocat recommandé par la compagnie comme son correspondant habituel. Du même coup, le principe du libre choix se trouve faussé ;
* l’assuré, très légitimement, préfère recourir à l’avocat le moins cher, ce qui rend impossible la pénétration sur ce marché de ceux qui ne sont pas agréés, comme avocats habituels, par les sociétés de protection juridique.
On peut y voir une pratique de prix prédateurs qui a pour conséquence d’instituer une barrière à l’entrée sur le marché.
Or, cette situation est choquante.
En effet, l’entreprise de protection juridique est une entreprise commerciale qui, légitimement, cherche à faire des bénéfices.
Elle n’a de sens que si elle est rentable.
Dans le même temps, l’assureur de protection juridique se présente auprès des pouvoirs publics comme celui grâce auquel le plus grand nombre peut avoir accès à la justice dans des conditions favorables.
Mais cela n’est possible que parce que l’on fait porter le poids de la charge financière sur les avocats.
Il y a quelque immoralité à concevoir la protection juridique comme un prix d’appel pour vendre à l’assuré d’autres garanties, en même temps que l’on transfère aux avocats une charge du type de l’aide juridictionnelle pour des motifs commerciaux capitalistiques, tout en considérant ces mêmes avocats comme un sinistre dans le sinistre.
– QUELLE PERSPECTIVE D’AVENIR ?
On ne parviendra à un système juste qu’à plusieurs conditions :
* la rénovation, ou mieux, la revalorisation des barèmes des assureurs distinguant les affaires répétitives, les affaires spécifiques et les actions de groupe ;
* une distinction nettement établie entre le plafond de la garantie et le plafond de la prise en charge des seuls honoraires d’avocat ;
* la revalorisation corrélative des primes pour un accroissement du montant des honoraires versés ;
* une véritable pédagogie qu’il incombe aux avocats d’entreprendre à l’égard de leurs partenaires pour leur expliquer comment fonctionne un cabinet d’avocats, quel est son plan de charges et quelle est la rémunération minimale qui lui permet de vivre décemment de son métier ;
* une pédagogie de l’article 700 à l’égard des magistrats et une convention avec l’assureur pour la répartition de cet article 700 entre l’avocat et lui ;
* une vraie réflexion sur le pacte de quota litis et, à tout le moins, sur l’honoraire de résultat dont les bases doivent être définies dans une nouvelle charte à établir entre les assureurs et le Barreau.
Les avocats ne peuvent pas accepter d’être tenus pour ceux qui enchérissent la justice en même temps que l’on ferait croire au justiciable que dans le partenariat à trois (assuré-assureur-avocat), l’assureur serait le gentil et l’avocat le méchant, alors que l’assureur fait des profits tandis que l’avocat ne couvre pas ses charges.
Tous partagent en commun la conviction qu’une culture toujours plus étendue du droit contribue à plus de démocratie.
Il est donc indispensable qu’avocat et assureur se parlent loyalement et vident enfin leur différend. La jolie formule de M. Cerveau caractérisant les relations entre le Barreau et les assureurs « Je t’aime moi non plus » devrait, dans un avenir proche, appartenir au passé.
Il n’est jamais trop tard pour mieux faire.