L’action de groupe à la française : un leurre

L’action groupée existe déjà en France.

Il est permis à un justiciable de réunir autour de lui des personnes qui ont subi un préjudice analogue au sien en raison des mêmes causes (contractuelles, para-délictuelles ou délictuelles). Chacune des personnes concernées peut désigner comme mandataire aux fins de l’instance le chef de file qui a pris l’initiative de les regrouper et peut donner mandat à un seul et même avocat. J’ai agi ainsi il y a déjà trente-cinq ans pour des chefs d’entreprise qui avaient été floués par des assureurs. Je tiens la jurisprudence à la disposition de qui la veut.

Aujourd’hui, rien n’empêche un justiciable de soumettre à l’avocat de son choix le cas qui le concerne et qui peut en concerner d’autres. Rien ne lui interdit de constituer une association ayant pour objet de réunir d’autres victimes. La publicité qu’elle fera à cette fin pourra comporter le nom de l’avocat qu’elle aura choisi et la procédure sera engagée soit par le président de l’association comme mandataire aux fins de l’instance de toutes les personnes ayant donné pouvoir et nommément désignées par leur identité complète ou, sans mandataire, par les personnes elles-mêmes.

La maxime « nul ne plaide par procureur » n’interdit pas de plaider par mandataire dès lors que le mandant est identifié.

Il n’est donc besoin d’aucune réforme pour continuer à exercer ces actions groupées.

On comprend mal, par conséquent, le tapage fait par le gouvernement autour de la « class action » à la française, réservée à de simples litiges de consommation à l’occasion desquels il ne sera pas possible de demander plus que le remboursement de ce qui aura été indument payé, sans dommages et intérêts.

Mais ce qui est plus grave, c’est la suspicion que cette loi manifeste, une fois de plus, à l’égard de la profession d’avocat. La « class action » sera réservée aux seules associations de consommateurs. Voici qu’apparaissent de nouveaux médiateurs entre les justiciables et leurs juges : les associations de consommateurs agréées. Cette démarche, qui revient à faire juge de l’opportunité d’une action une association et non pas le professionnel qu’est l’avocat, heurte de front l’honneur même de la profession.

Certes, une association a le droit d’ester en justice. Mais elle ne saurait devenir le filtre obligatoire par lequel doit passer le justiciable. Toutes les associations auxquelles la loi a donné la faculté d’agir en justice (contre le racisme ou l’antisémitisme, contre la maltraitance faite aux enfants, etc …) sont parties au procès, mais non pas des portiques nécessaires sous lesquels doit passer la personne qui souhaite agir en justice.

J’avais proposé à M. le ministre Hamon comme à mes interlocuteurs de la Chancellerie, d’imaginer une procédure simple.

Si l’on redoute l’inflation des procédures injustifiées, le seul moyen légal d’y remédier consiste en un examen préalable par un juge de la recevabilité de l’action envisagée. C’est ce juge seul qui, saisi par un avocat pour le compte d’une ou plusieurs victimes, examinerait la recevabilité de la demande, organiserait la publicité qu’il conviendrait de donner à l’action de groupe et, le cas échéant, fixerait une première provision ad litem sur les frais à venir. Bien sûr, cette procédure préalable serait contradictoire. Je n’ai pas été entendu.

Le pire serait que la loi, sous prétexte de réserver à l’association de consommateurs l’action de groupe, interdirait parallèlement à l’avocat d’entreprendre une action groupée comme celle que j’évoquais en commençant.

En aucun cas nous ne l’accepterons. Il est de mon devoir de le dire dès à présent et d’informer les parlementaires que nous ne pourrons pas tolérer cette nouvelle atteinte aux droits de chaque citoyen d’accéder à la justice comme il l’entend par le canal de l’avocat de son choix, sans aucun filtre régulateur.

Un État qui, comme la France aujourd’hui, semble vouloir multiplier les entraves à l’exercice de la profession d’avocat et au droit de chaque personne d’accéder au juge, de se faire assister et défendre par qui bon lui semble, prend des libertés dangereuses et inacceptables avec les principes démocratiques.

Bâtonnier Christian Charrière-Bournazel
Président du Conseil national des barreaux