HOMMAGE À FRANÇOISE MENDEL-RICHE CHEVALIER DANS L’ORDRE NATIONAL DU MÉRITE

CCB/VP

26.10.10

HOMMAGE À FRANÇOISE MENDEL-RICHE CHEVALIER DANS L’ORDRE NATIONAL DU MÉRITE

26 octobre 2010

Chère Françoise,

Vous avez sans doute oublié le jour de notre rencontre. Pas moi. Nous étions chez Alain Cornec, qui recevait quelques amies, toutes des dames, parmi lesquelles notamment notre consœur qui n’était pas encore devenue la mère du président de la République. C’était en 2006 et j’avais été admis dans cette compagnie remarquable parce que je m’étais déclaré candidat au bâtonnat.

Je n’avais pas encore découvert l’avocate, mais j’avais trouvé attachante en vous la femme de lettres qui aimait les chats. Pas seulement les chats, d’ailleurs, car vous êtes, en réalité, attachée à la nature. C’est de votre grand-père maternel, Albert Fabre, que vous tenez ce que vous appelez joliment « l’amour des jardins et de ce qui y pousse ». Cet ancien combattant de la Grande Guerre, qui avait vingt-et-un an en 1914, vous racontait l’histoire d’un lapin qui se promenait avec les poilus dans les tranchées et que les « Boches » n’avaient pas réussi à tuer. Beau symbole de vitalité ! C’est la première figure qui a frappé votre enfance par sa simplicité et son art de tempérer vos ardeurs de petite fille survoltée. Il avait épousé Marie-Louise, votre grand-mère, institutrice, elle-même fille d’un instituteur et d’une institutrice du Cantal.

Voilà pour le côté maternel.

Du côté paternel, c’est encore un instituteur en la personne de votre arrière-grand-père qui a marqué votre enfance. C’est lui qui a construit votre maison de Belleu en 1921, au milieu des arbres fruitiers et des plantes de toutes sortes que vous soignez avec dévotion.

Émile Roven – c’était son nom – n’appartenait pas à la dynastie des instituteurs anticléricaux. C’était ce que l’on appelle un chrétien fervent et à Normale Supérieur, un « tala » puisqu’il faisait partie de ceux qui vont à la messe. Deux de ses filles seront religieuses.

Leur sœur, Marie-Louise, votre grand-mère, donna naissance à François, né en 1913, et décédé à vingt-trois ans en Belgique d’une péritonite alors qu’il était entré comme novice chez les Jésuites. Ce personnage, dont vous aimez parler, évoque le jeune curé de campagne qui se sachant condamné et se rappelant qu’il n’avait jamais pu imaginer ce qu’il serait vieillard, disait : « C’est qu’il n’y avait pas de vieillard en moi ».

Ainsi, les deux constantes de votre famille sont-elles l’enseignement et la religion.

Le frère de ce jeune saint, Jean-Marie, né en 1921, est votre propre père qui fut un résistant intégré à l’armée américaine du débarquement. Jean-Marie Riche fut le fondateur et le président de l’hebdomadaire Air et Cosmos qui existe toujours. Marié tout jeune à Yvette Fabre, à vingt-deux ans, il a partagé la vie de cette femme talentueuse, votre mère, belle, fine, couturière, créatrice et auteur de très fines aquarelles qui a mis fin à ses jours le 22 mai 2000 à soixante-seize ans.

Je voulais évoquer ici sa mémoire tant je suis persuadé que le dialogue n’est jamais interrompu pour toujours avec ceux qui nous ont donné la vie.

Une personne capitale pour vous fut sœur Christiane-Odile de l’Ordre des religieuses de Saint-Joseph du Puy, directrice des études au cours Bossuet, 35 rue de Chabrol à Paris 10ème. Pendant huit années, de l’âge de neuf ans à l’âge de dix-sept ans, vous avez été scolarisée sous son ombre tutélaire. Avant même qu’elle fut votre professeur de français en seconde et première, elle fut votre directrice de conscience, votre confidente, votre mère spirituelle, votre amie. J’ai connu la même chose que vous avec un prêtre, mort aujourd’hui, et je partage avec vous le souvenir de ce que vous appelez « les éblouissements de littérature ». Ce n’est pas rien que cette filiation, établie entre ces femmes et ces hommes qui avaient fait vœu de ne pas avoir d’autre famille que leurs élèves et de qui nous avons tant reçu.

Vous êtes née, oserais-je le dire, tant cela paraît invraisemblable, avant la fin de l’année 1944. Dans trois jours, c’est votre anniversaire. Vous êtes née au Grand Séminaire car l’hôpital était pris. Décidément, on n’échappe pas à son hérédité et j’ai envie de m’écrier avec Polyeucte: « Elle a trop de vertus pour n’être point chrétienne ! ».

Très jeune, vous obtenez le bac B (lettres et langues) avec la mention « bien ». Sœur Christiane-Odile est ravie. Vous aurez ensuite votre baccalauréat de philosophie de justesse. On ne peut pas avoir de mention tous les ans.

Vous vous formez alors à l’anglais à Cambridge, après avoir obtenu le diplôme de la chambre de commerce britannique. Entre les deux, vous obtenez le diplôme de la chambre de commerce espagnole. Vous décrochez votre licence en droit public en 1967 et le diplôme de l’institut d’études politiques en 1968. Suivront deux DES de science politique puis de droit public de l’université de Genève pendant que, de 1968 à 1971, vous êtes journaliste au service étranger de l’Agence France Presse. Puis de 1971 à 1980, vous publiez en français et en anglais sur le droit parlementaire comparé, vous êtes assistante en droit constitutionnel suisse et comparé à la faculté de droit de l’université de Genève, puis chargée de cours en Institutions politiques à l’université d’Essex au Royaume-Uni.

De 1981 à 1985, vous êtes assistante parlementaire en France chargée de communication, rédactrice de plus de mille questions écrites aux ministres et assurant la relation avec la presse, avec les cabinets ministériels, les administrations centrales, les associations et les organisations syndicales.

Qui se doute de ce que ce n’est pas du tout la fin de votre parcours étonnant ?

De 1985 à 1987, vous êtes responsable de la formation et de la communication interne à la Banque Française du Commerce Extérieur qui compte trois mille salariés. Vous gérez directement un budget de plus d’un million et demi par an et vous avez la responsabilité de la mise en place du plan de formation du personnel, notamment en formation aux langues étrangères.

En 1988, vous êtes directrice commerciale de Voyage Formation, et développez l’action commerciale et la communication en gérant dans le groupe Eurolangues un budget de quatre millions de francs.

Enfin, d’août 1988 à fin 1990, vous êtes collaboratrice d’un cabinet d’avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, la SCP Lyon-Caen Fabiani Liard, où vous élaborez et rédigez des dossiers en droit administratif dans des affaires pendantes devant les juridictions de première instance ou de Conseil d’État.

Est-ce tout ? Mais non !

Vous êtes, en 1989 et 1990, chargée d’enseignement à l’École Supérieure de Commerce de Paris après avoir été, de 1980 à 1990, chargée de travaux dirigés en droit constitutionnel et institutions politiques à l’université Paris I Panthéon Sorbonne.

C’est en décembre 1990 que vous avez obtenu le CAPA. Vous vous êtes inscrite en septembre 1992 au barreau pour exercer en cabinet groupé d’avocats.

Qui se douterait que l’exquise et discrète petite dame blonde aux yeux de chat et au sourire d’enfant est une grande experte du droit administratif et du droit international ?

Car vous êtes modeste !

Vous n’avez de cesse de penser aux autres et de vouloir que ce soit à eux qu’on rende hommage. Je le fais d’autant plus volontiers qu’il s’agit de grands avocats et d’amis et je cite, par conséquent, Louis Liard, mort en 1989, Arnaud Lyon-Caen, Alain Cornec – votre premier vrai patron -, Jean-Jacques Israël, les bâtonniers Vatier, de La Garanderie et Paul-Albert Iweins. J’y ajoute Jean-Claude Martaguet, Pascal Andrieux, Oleg Kovalsky et Dominique Secrétant.

Une vie aussi remplie paraît exclusive de tout attachement. Erreur ! Vous êtes aussi douée pour l’amour et la famille que vous l’êtes pour les études et le travail : de votre mariage en 1969 avec Jean-Marc Mendel, qui a déterminé vos déplacements à travers l’Europe en fonction de ses propres mutations, vous avez eu deux enfants : Anne-Sophie qui a obtenu une maîtrise d’anglais à Dublin et à Paris IV et qui est aujourd’hui formatrice en anglais à Lille. Vous la dites très sensible, très psychologue, très intellectuelle. Elle est, en un mot, votre fille.

Quant à Gilles-Éric Mendel, c’est un modérateur de forum, un militant des causes nobles proche de Green-Peace et, comme vous, aimant la littérature et l’histoire.

Anne-Sophie a une chatte grise, Gilles-Éric un chat noir. Allez savoir pourquoi !

Quant à Georges Bonnard, votre compagnon depuis 1989, vous lui devez, dites-vous, d’avoir pu passer le CAPA à quarante-cinq ans, d’être avocate et d’être devenue membre du Conseil de l’Ordre. Il a connu jusqu’au bout le bonheur de tenir la comptabilité de l’avocat, la distribution des courriers de campagne dans les toques et tout ce que l’on peut faire d’utile pour un compagnon qui se lance dans une aventure électorale sans être soi-même concerné par autre chose que l’amour qu’on lui porte.

Car vous avez été un membre du Conseil de l’Ordre tout à fait précieux. Vous vous êtes dévouée au droit des étrangers.

Vous avez pris une part active au contentieux qui se déroule de 1999 à 2003 de l’Ordre des avocats contre le préfet de police et le ministre de l’intérieur pour obtenir la présence de l’avocat, y compris au titre de l’AJ, aux côtés de l’étranger.

Depuis 1999, vous assurez à l’EFB une formation de vingt-quatre heures par an pour l’égalité des armes. Vous la menez avec nos amis de l’ADM, de même que vous militez pour une défense digne, compétente et humaine.

Vous êtes possédée par le rêve d’une défense d’excellence sans laquelle il n’y a pas de justice d’excellence et vous n’avez cessé de coopérer avec le GISTI et la CIMADE dans l’intérêt de ces malheureux qui attendent de notre pays un peu plus de fraternité.

Permettez-moi de rappeler la nuit du 14 au 15 février 2008, au début de mon bâtonnat, où cent treize Maliens furent jugés dans des conditions insupportables, entassés dans des salles minuscules où leurs familiers ne pouvaient entrer. Huit avocats, sous votre égide, furent mobilisés toute la nuit, parmi lesquels Samuel Aït Kiki, Guillaume Valat, Christophe Pouly, déposant des conclusions de nullité et plaidant sans relâche dans une tension et une angoisse indescriptible, avec votre aide.

La défense dont vous étiez, à l’époque, l’auxiliaire vigilante au nom de l’Ordre, s’est montrée efficace, digne et compétente. J’ai pu admirer moi-même la résolution de ces combattants de la liberté et ces tribuns généreux de la Plèbe qui s’étaient dépensés sans compter comme se dépensent sans compter nombre d’entre eux tous les jours dans l’humilité et l’anonymat, comme vous l’avez toujours fait vous-même.

Telle a été votre contribution à l’Ordre la plus notable et la plus belle, celle que je voulais saluer, celle que, ce soir, va honorer la décoration que, par ma main, vous décerne la République.

Françoise Mendel-Riche, au nom du président de la République, et en vertu des pouvoirs qui nous sont conférés, nous vous faisons Chevalier de l’Ordre National du Mérite.

Christian Charrière-Bournazel