Décoration de William Feugère

Vous m’avez confié l’honneur de procéder à la remise de la distinction que vous avez méritée.

Mon propos sera inspiré à la fois par nos relations anciennes et profondes et aussi par vos confidences spontanées sur votre propre histoire personnelle.

C’est ainsi que j’ai découvert la richesse de votre ascendance.

J’avais fait la connaissance de votre père il y a bien des années. J’avais apprécié sa cordialité en même temps que sa compétence qui le conduisit depuis le métier de conseil juridique jusqu’à celui d’avocat et plus particulièrement d’avocat pénaliste.

Il est vrai qu’il avait été formé par un avocat, ancien Résistant, Fernand Plas, dont l’épouse avait été une des premières avocates à traverser le boulevard du Palais, Eliette Lascar. Mais cette filiation directe ne s’inscrit pas dans un lignage d’avocats. Votre mère, Dominique Feugère, est artiste peinte sous le nom de  Legrin et vos ancêtres, dont vous avez raison d’être fier, étaient pêcheurs de crevettes dans l’estuaire de la Seine à Quillebeuf-sur-Seine.

Votre père n’a pu être aujourd’hui des nôtres. Actuellement souffrant, votre mère reste auprès de lui dans l’Ariège où ils vivent leur retraite. Vous leur direz notre attachement.

Ce qui caractérise l’éducation que vous avez reçue, c’est le sens de la liberté que l’on vous a enseigné. Vous en faites le plus bel usage pour être à la hauteur de la confiance que l’on vous fait. Vos études bilingues en collège, votre entrée à Science-Po sur la recommandation de vos professeurs de lettres et d’histoire jusqu’à l’obtention de votre diplôme en 1995, alors que vous n’avez que vingt-trois ans, montrent à quel point ils avaient eu raison.

Diplômé de la section « service public », vous vous êtes inscrit en Prep’ENA avec l’idée d’intégrer, à terme, le Conseil d’État. Vous aviez d’autant plus apprécié le droit public que vous aviez eu comme maître de conférences Richard Descoings, dont on se rappelle la fin tragique et qui fut un partenaire tout à fait apprécié des avocats pendant mon bâtonnat.

Comment donc avez-vous bifurqué d’une carrière promise à la fonction publique vers la profession de libéral indépendant et éventuellement frondeur (je veux parler de l’avocat) ?

Vous avez subi un choc déterminant, comparable à la conversion de Paul Claudel derrière le deuxième pilier à gauche de Notre Dame, lorsque vous avez assisté à une audience pénale où se côtoyaient Jean-Yves Le Borgne, votre père qu’il avait entraîné dans l’aventure et Henri Leclerc.

La puissance et l’intensité extraordinaire de cette audience, selon vos propres termes, vous ont déterminé à devenir avocat.

Vous abandonnez la Prep’ENA pour vous inscrire en faculté de droit à Nanterre puis à Malakoff pour pouvoir intégrer l’EFB.

Vous avez prêté serment le 9 janvier 2002 avec, pour parrains, Jean-Yves Le Borgne, Denis Talon et Dominique Miellet.

Vous leur gardez une très grande reconnaissance en les décrivant comme hommes empreints d’humanisme et de la générosité qui consiste à partager sa compétence avec les plus jeunes confrères.

C’est ainsi que vous vous êtes attaché au droit pénal des affaires, à la défense des entreprises et de leurs dirigeants, associant ainsi votre estime pour les entrepreneurs et votre passion pour l’audience pénale. Et comme vous êtes avocat jusqu’aux plus profondes fibres de votre âme, vous dites que les entrepreneurs sont le plus souvent en correctionnelle par méconnaissance et non par la volonté de violer la loi.

Parfaitement bilingue, spécialiste de la loi de blocage, votre compétence s’est étendue à l’Angleterre et à l’Australie, y compris à la demande d’institutions étrangères comme l’Autorité de la concurrence australienne.

Et comme vous n’êtes pas égoïste, vous tenez à rendre hommage à votre confrère Antoine Moizan, votre collaborateur, dont vous dites qu’il mérite d’être cité car il est aussi brillant que talentueux. Voilà, M. Moizan, c’est fait.

Le praticien que vous êtes ne se contente pas de servir les personnes qui lui font confiance. Vous écrivez sans arrêt : une centaine d’articles dans des revues spécialisées, des ouvrages destinés aux chefs d’entreprises, aux Éditions Francis Lefebvre et une étude sur le Droit pénal des affaires dont le Lamy du dirigeant d’entreprises. Vous devenez membre du comité d’experts de la revue Semaine juridique.

Mais cela ne vous suffit pas. Vous n’êtes pas homme, en effet, à rester replié sur vous-même ou sur votre table d’écriture. L’engagement syndical et ordinal sont conçus par vous comme (je vous cite) « une force de respiration pour vivre autrement [votre] passion ».

Vous adhérez à l’ACE. Elle vous permet de rencontrer les leaders des autres syndicats comme la FNUJA où vous vous liez d’amitié avec Romain Carayol.

À l’ACE, notre consoeur Bénédicte Bury vous repère et vous développez avec elle des évènements et des formations sur l’Europe et sur la prévention des risques, car les deux réflexes principaux qui vous animent sont le réflexe européen et le réflexe pénal.

L’ACE n’avait pas de commission pénale. Vous en avez donc créé une sous la présidence de Jean-Jacques Uettwiller qui vous en a laissé le soin en vertu de la doctrine qui dit : « celui qui propose est celui qui fait ».

Vous n’aviez qu’un an de barreau lorsque vous avez créé cette commission « pénal, libertés et droits de l’homme » de l’ACE. Ce sont désormais Vincent Nioré et Sévag Torossian qui la président.

Vous avez travaillé avec Bernard Bouloc, Serge Portelli, avec le SAF, l’UJA et la Conférence du stage pour réfléchir sur la réforme de la procédure pénale.

Vous avez succédé, en 2004, à Michel Beaussier comme responsable de la commission ouverte de « droit pénal économique et financier » du barreau de Paris et vous avez travaillé, à cette époque, sur le secret professionnel au regard de la lutte contre le blanchiment. À l’époque, il s’agissait seulement de la transposition de la deuxième directive, celle de 2001, qui a donné lieu à une loi puis à des décrets d’application que le Conseil d’État a examinés en rendant un arrêt capital en mars 2008 consacrant le filtre du bâtonnier.

C’est en 2007 que vous vous êtes présenté au Conseil de l’Ordre. Vous avez été élu et j’ai eu le plaisir de vous compter parmi les membres de mon conseil pendant mon bâtonnat. Vous avez travaillé avec moi sur la manière de combattre la directive du 26 octobre 2005 contre le blanchiment qui prétendait obliger l’avocat à dénoncer directement son soupçon à Tracfin sans le dire à son client et cette fois sans le filtre du bâtonnier. Nous avons gagné.

C’est vous encore que j’ai chargé de mettre en place le fonds de six millions d’euros dit « fonds de solidarité » pour aider les avocats confrontés à des situations d’urgence : l’expulsion soudaine de leur domicile, le recouvrement de leurs honoraires lorsqu’ils ne sont pas capables d’affronter leur ancien client ou encore l’avance faite auprès de la CNBF, à charge de remboursement, pour pouvoir bénéficier de leur retraite et quitter une profession dans laquelle ils ne s’épanouissent plus.

Et votre mandat s’est terminé sous le bâtonnat de Jean Castelain qui s’était adjoint un vice-bâtonnier en la personne de Jean-Yves Le Borgne, votre ancienne caution morale.

Vous fûtes alors chargé de trois commissions : le respect du contradictoire, les procédures collectives, l’exercice du droit.

En même temps, vous avez supervisé l’instruction disciplinaire, devenant une sorte de doyen des juges d’instruction de l’Ordre.

Et comme rien ne peut épuiser ni votre force de travail, ni votre passion de servir, vous êtes devenu président national de l’ACE le 23 octobre 2010, succédant à Pierre Lafont, qui vous l’avez proposé.

Vous en aviez une petite idée mais vous avez découvert dans le réel qu’il s’agit d’une véritable entreprise à gérer puisque près de deux mille cabinets d’affaires en sont adhérents, chaque cabinet comptant plusieurs avocats. Les régions se sont mobilisées pour adhérer. Vous avez réanimé des commissions grâce à Denis Raynal qui vous a, plus tard, succédé à la présidence de l’ACE : la commission « famille » présidée par Céline Cadars-Beaufou, la commission « égalité et diversité » présidée par Valérie Duez-Ruff et Pierre Servan-Schreiber et la commission « droit de l’art » présidée par Anne-Sophie Nardon.

Vous avez été élu au CNB en 2011 puis réélu en 2014 et vous siégez aujourd’hui au bureau.

Pendant ma présidence, nous avons créé la commission « droit et entreprise » que vous avez présidée trois ans. Toute la communication institutionnelle de la profession destinée aux entreprises a été revue et avec la détermination d’Anne Vaucher, nous avons créé l’interprofessionnalité d’exercice, à l’époque où l’on ne parlait que d’interprofessionnalité économique.

En revanche, notre idée, à laquelle vous avez contribué aussi fortement, était de permettre dans un même lieu aux trois professionnels, voire quatre si on y ajoute les huissiers, d’offrir leurs services aux mêmes clients ayant à la fois besoin d’une assistance juridique, d’une assistance comptable et d’actes authentiques sans avoir à courir la ville d’un point à l’autre entre des concurrents.

Votre plus grand mérite, après votre compétence, c’est d’avoir toujours eu un œil fixé sur l’avenir pour que progressent la qualité de nos professions, leur rayonnement et le service de nos concitoyens.

Et comme vous n’êtes pas simplement soucieux de la réussite personnelle des professionnels, mais aussi de leur dignité morale, vous avez créé, en avril 2016, la legal tech ethicorp.org.

À l’époque où M. Michel Sapin, M. Jean-Jacques Urvoas et M. Emmanuel Macron, pas encore président, définissaient le rôle du lanceur d’alertes, vous avez souhaité qu’il ne soit plus perçu seulement comme une contrainte par les entreprises. Vous vous êtes attaché à le transformer en force pour elles, en outil de croissance grâce à un partage d’informations permettant de corriger les éventuels dysfonctionnements.

On vous reconnaît bien à cette façon de transformer en positif ce qui pourrait être perçu comme uniquement déceptif.

Et c’est ainsi qu’ethicorp.org est née : elle est une plateforme de réception et de traitement des alertes par les avocats.

Vous l’avez présentée en 2016 à la Chancellerie devant près de quatre cents personnes : membres du gouvernement, acteurs du droit, journalistes et investisseurs.

Les entreprises vous sollicitent et vos clients sont de tous les domaines : compagnies d’assurance, de robotique, groupes agroalimentaires, entreprises publiques, groupes français ou internationaux.

Vous m’avez fait l’honneur avec d’autres de me donner une place au comité d’éthique et je vous en remercie car il est toujours profitable, quand on a comme moi quarante-quatre ans d’exercice, d’être sans cesse stimulé et rajeuni par quelqu’un qui a le sens de l’avenir comme vous l’avez.

Vous ne cessez de progresser.

Je ne cite pas tous ceux dont vous m’avez donné les noms et qui sont autant de référents auxquels vous manifestez de la reconnaissance, eux qui, de leur côté, vous remercient de les aider à monter toujours plus haut.

Il est vrai que vous êtes né un 15 août : sans vouloir faire un mauvais jeu de mots, William Feugère, vous étiez destiné à une perpétuelle assomption.

Et c’est pourquoi, au nom du Président de la République et en vertu des pouvoirs qui m’ont été conférés, je vous fais Chevalier de l’Ordre national du mérite.

Paris, le 13 septembre 2017
Christian Charrière-Bournazel