A propos du décret « Passerelle » relatif aux conditions particulières d’accès à la profession

Sans égard pour la motion votée en Assemblée générale par le Conseil national des barreaux, que j’ai pris le soin de faire porter aussitôt au ministre de la justice, vient d’être publié ce 4 avril le décret « passerelle » qui ajoute au décret du 27 novembre 1991 un nouvel article 97-1 rédigé comme suit :

« les personnes justifiant de huit ans au moins d’exercice de responsabilités publiques les faisant directement participer à l’élaboration de la loi sont dispensées de la formation théorique et pratique et du certificat d’aptitude à la profession d’avocat ».

L’imprécision de cette rédaction justifie le recours que j’ai demandé au président Didier Le Prado de former devant le Conseil d’État.

Notre profession a toujours été ouverte, refusant toute barrière excessive à l’entrée et tout numerus clausus. C’est son honneur. Elle n’a jamais fait obstacle à ce que des juristes ayant une expérience professionnelle sérieuse dans d’autres métiers rejoignent le Barreau dès lors que les anime le désir de servir dans le respect de notre indépendance, du secret que nous devons à ceux qui se confient à nous et de notre exigeante déontologie.

Telle est la raison pour laquelle il est nécessaire de définir les critères précis qui permettront ensuite aux barreaux, en vertu de la maîtrise souveraine de leur tableau, d’admettre ou de refuser l’inscription de tel ou tel candidat à la profession d’avocat.

Si le décret a fort opportunément ajouté une condition à l’accès à la profession, notamment des juristes d’entreprise, en les soumettant à un examen de contrôle des connaissances en déontologie et règlementation professionnelle, les personnes qui bénéficieraient de la dérogation issue de ce nouvel article 97-1 seraient dispensées de cet examen, et ne seraient soumis qu’à une obligation de formation de vingt heures.

On est en droit de demander quelles qualités effectives justifient ce privilège. Or la définition de l’article 97-1 est d’une totale imprécision.

Que signifie l’expression « exercice de responsabilités publiques » ? S’agit-il de simples fonctionnaires ayant travaillé dans le service de législation d’un ministère ? Ou s’agit-il d’élus de la Nation ? En ce cas, pourquoi ne pas l’avoir dit ?

La suite du texte est aussi vague, qui précise qu’il s’agirait de responsabilités publiques « faisant directement participer à l’élaboration de la loi ».

Qu’est-ce que la participation directe à l’élaboration de la loi ? Le texte vise-t-il tous les rédacteurs et rédactrices chargés de préparer les propositions ou les projets de lois et/ou, sans distinction, tous les parlementaires, quelles que soient les commissions où ils ont été appelés à siéger et quand bien même ils n’auraient que rarement assisté à des débats en Assemblée, donnant leur pouvoir à un collègue pour voter à leur place la plupart du temps ?

Enfin, malgré les demandes que nous avions formulées, il n’est fait aucune référence à une condition de diplôme, même si cette condition est inscrite dans la loi. M’objectera-t-on qu’on ne saurait déroger à une loi par un décret ? Certes, mais il eût été si simple d’accepter la lourdeur d’une répétition plutôt que de semer le trouble en donnant l’impression de vouloir à tout prix, dans l’urgence, trouver un point de chute pour d’éventuels recalés des prochaines élections législatives.

Le CNB avait proposé de désigner nommément dans le décret ceux qui bénéficieraient le cas échéant de cet accès parallèle : les députés, les sénateurs et les ministres titulaires d’au moins une maîtrise en droit et ayant pendant huit années travaillé effectivement, en raison de leurs qualités de juristes, à l’élaboration de textes législatifs. S’y ajoutait la condition d’une formation d’au moins vingt heures en déontologie préalable à l’admission au Barreau.

Les avocats ne nourrissent aucune suspicion a priori et sont les premiers à revendiquer la présomption d’innocence. Ils ne nourrissent pas la mauvaise pensée qu’un ancien parlementaire devenant avocat se consacrerait à faire du trafic d’influence. Un carnet d’adresses ne pèse que le poids de son titulaire ; une fois la fonction perdue, l’encre a tendance à s’estomper. Il suffit de penser à tels ou tels de nos confrères qui, devenus parlementaires puis revenus ensuite au Barreau, ont eu les plus grandes difficultés à reconstituer un cabinet.

Il n’y a dans l’attitude du Conseil national des barreaux ni parti pris de méchanceté, ni jalousie, ni frilosité, mais le seul désir que ceux qui nous font l’honneur de nous rejoindre, loin de banaliser le nom que nous portons, nous rendent au contraire fiers de les compter parmi nos nouveaux confrères.

Christian Charrière-Bournazel