Trois mesures immédiates et cinq grandes réformes

CCB/VP

10.11.10

JUSTICE 2012

TROIS MESURES IMMÉDIATES ET CINQ GRANDES RÉFORMES

Le malaise de notre système judiciaire n’a pas commencé en 2007. Il vient de plus loin.

Une première cause est consubstantielle à notre histoire : la fronde des Parlements et leur insubordination au pouvoir royal (l’échec de la réforme Maupeou en est une illustration) ont conduit à tenir en bride les juges depuis la Révolution sans leur octroyer une véritable indépendance. La Constitution de 1958 elle-même parle d’autorité et non pas de pouvoir judiciaire.

La seconde cause, conséquence de cette défiance, tient au manque des moyens financiers. Un gouvernement doit assurer l’indépendance de la justice pour qu’elle remplisse sa fonction régulatrice et substitue au désordre des forces l’ordre du droit.

I – TROIS MESURES IMMÉDIATES À METTRE EN ŒUVRE DANS LES TROIS PREMIERS MOIS

1/ LA GÉNÉRALISATION DU JUGE UNIQUE EN PREMIÈRE INSTANCE

Les magistrats ne sont pas assez nombreux. Le judiciaire décroît par découragement des plaideurs. Or, si le recours au juge s’avère illusoire ou impossible, l’incivilité et le désordre augmentent.

Déjà nombre de juridictions siègent en première instance en juge rapporteur, comme le tribunal de commerce de Paris et même parfois la cour d’appel. Pourquoi ne pas généraliser le juge unique comme devant les tribunaux d’instance ou en petite correctionnelle !

Les délais de jugement seraient beaucoup plus courts et la responsabilité des juges plus affirmée. On connaît les limites de la collégialité à la française : un juge connaît le dossier et tranche. Les autres approuvent.

 

2/ L’ABONDEMENT DE L’AIDE JURIDICTIONNELLE

L’aide juridictionnelle a coûté, en 2010, moins de 300 millions. La justice, institution fondamentale, ne se conçoit pas sans la défense. On paie le juge, le procureur, le greffier. On doit aussi payer l’avocat.

Le président de la République a dit qu’il ne donnerait pas un sou de plus à l’AJ. Des projets circulent qui voudraient taxer le professionnel avocat, ce qui est aussi absurde que si l’on demandait aux médecins de payer pour l’assistance publique.

La solution ? Il y a deux types d’activités dans le droit : l’activité négative ou déceptive, c’est-à-dire le procès, que l’on est contraint de subir ou de faire. L’autre activité, en relief, positive, c’est l’échange, la convention. C’est d’elle que naît un progrès, un avantage réciproque, l’espérance d’un profit.

À l’occasion de la signature de tout contrat soumis à enregistrement (ventes immobilières, constitutions de sociétés, cessions de fonds de commerce ou d’éléments d’actifs, contrats de licence de brevets ou de marques ou d’utilisation de dessins et modèles, baux, contrats d’adhésion conclus avec les banques ou les compagnies d’assurance portant sur les prêts immobiliers, les assurances couvrant la propriété immobilière) comme sur tous les actes soumis à publicité (dépôt de marque, de brevet, de dessins et modèles, etc …) sera versée une contribution à l’aide juridictionnelle d’une valeur minime correspondant au prix d’un ou deux paquets de cigarettes. Peut-être un peu plus lorsqu’il s’agit d’une vente immobilière importante. Cette contribution sera immédiatement reversée au trésor public pour le compte de l’aide juridictionnelle, sans qu’il soit besoin de créer des fonctionnaires supplémentaires, les Ordres d’avocats étant chargés, comme aujourd’hui, de gérer les fonds AJ versés en deux temps les 15 février et 15 octobre de chaque année.

Objectera-t-on que c’est une contribution de plus ? Le gouvernement ne se gêne pas quand il crée la CSG, le RDS, la taxe carbone, ou les taxes sur l’essence ou le tabac.

Cette réforme, simple, a le mérite de mutualiser le risque judiciaire sans pénaliser les professionnels qui le sont déjà par une rémunération au rabais.

3/ LA RÉFORME DES BAJ (BUREAUX D’AIDE JURIDICTIONNELLE)

Aujourd’hui sont admis à l’aide juridictionnelle des plaideurs pour des dossiers qui ne devraient pas aller en justice. Au surplus, la vérification des conditions financières dans lesquelles vivent ceux qui demandent l’aide juridictionnelle est très insuffisante. Il faut les transformer en véritables chambres des requêtes. Libre à la partie qui se sera vu refuser l’AJ de faire elle-même les frais du procès si elle y tient vraiment.

 

Les BAJ pourraient également recourir à une solution alternative : l’envoi à des médiateurs lorsque l’enjeu du procès paraît pouvoir être réglé sans le traumatisme d’une procédure.

Enfin, en matière correctionnelle, la personne qui dispose des moyens de se défendre n’est pas fondée à bénéficier de la générosité publique. Dès la première intervention gratuite, les BAJ doivent être en mesure de vérifier, au besoin avec le concours de l’administration fiscale, déliée à cette fin du secret professionnel, la situation économique exacte de la personne qui prétend à une commission d’office.

II – LES CINQ GRANDES RÉFORMES À ENTREPRENDRE DANS LES CINQ ANNÉES DE LA LÉGISLATURE

1/ LA REFONTE DE LA FORMATION

Le récent stage de six mois en cabinet d’avocats fournit aux futurs magistrats l’occasion de mieux appréhender la tâche du conseil et du défenseur.

Il faut aller plus loin et sortir d’une culture du ghetto par un tronc commun de formation avocat-magistrat.

L’affrontement de classe entre ceux qui jugent et ceux qui assistent et défendent doit cesser. Il n’existe ni en Angleterre ni au Canada, ni en Allemagne. Au Canada, on ne peut devenir juge que si on a été pendant au moins dix ans un avocat parmi les meilleurs.

Au lieu d’une école nationale qui resterait localisée à Bordeaux, pourquoi ne pas créer des centres régionaux de formation professionnelle magistrats-avocats, quitte ensuite à faire passer des examens plus spécifiques selon le choix de l’étudiant ? Mais tous devraient d’abord être avocat, pendant deux ou trois ans.

Il faut également favoriser le plus possible le recrutement de magistrats au tour extérieur afin de casser le mur entre les cultures.

2/ SÉPARATION DU PARQUET ET DU SIÈGE

Que les magistrats du parquet soient ou non des magistrats, subordonnés ou non au pouvoir exécutif, il est indispensable que ceux qui jugent et ceux qui poursuivent émanent de deux corps distincts, qu’il n’y ait plus de passerelle de l’un à l’autre au cours d’une même carrière et qu’au besoin, ils ne soient même pas localisés dans les mêmes enceintes judiciaires.

C’est une des conditions de l’indépendance des juges qui jugent.

Quant à l’indépendance des parquets, elle doit être totale dans les affaires individuelles, pourvu que le choix de poursuivre ou de ne pas poursuivre soit motivé et susceptible de recours. En revanche, pour les choix de politique pénale nationale, seul le gouvernement a compétence. Il doit pouvoir transmettre ses instructions aux magistrats du parquet. Procureur signifie mandataire.

3/ LA SUPPRESSION DES FILTRES EN MATIÈRE DE QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITÉ

Le Conseil d’État et la cour de cassation se sont vu confier le rôle de filtre en matière de question prioritaire de constitutionnalité. C’est une erreur.

Une juridiction suprême (et tel est bien le cas du Conseil Constitutionnel) ne peut pas dépendre, pour sa saisine, d’une juridiction inférieure. C’est au sein même du Conseil Constitutionnel qu’il faut instituer une chambre des requêtes, comme existe à la CEDH de Strasbourg une commission chargée de filtrer les recours. Cette instance doit être interne à la juridiction elle-même.

4/ RÉFORME DE LA PROCÉDURE PÉNALE

La réforme à venir doit s’inspirer en tous points du discours prononcé le 7 janvier 2009 devant la Grand Chambre de la cour de cassation par le président de la République, Nicolas Sarkozy, dont je rappelle les grandes lignes :

  • substituer une culture de la preuve à une culture de l’aveu ;
  • inventer un véritable habeas corpus à la française ;
  • ne pas craindre la présence de l’avocat le plus tôt possible dès le début de l’enquête puisqu’il est astreint à une déontologie rigoureuse ;
  • mettre à égalité d’armes l’accusation et la défense, que ce soit celle des victimes ou des suspects ;
  • instituer une juridiction de l’instruction qui, à l’inverse de ce qui se passe aujourd’hui, donnera ses ordres au parquet et en contrôlera les actes, soit de son propre chef, soit pour avoir été saisie par les parties ;
  • mettre à la charge de l’État les frais d’enquêtes, d’expertises, de recherches des preuves pour ne pas pénaliser les pauvres.

Les fonctions de parquetier et de juge étant séparées et les carrières totalement étanches, le juge d’instruction naturellement disparaît. Il s’agit d’un être hybride, à la fois chasseur et garde-chasse.

5/ ACTION DE GROUPE ET DOMMAGES ET INTÉRÊTS PUNITIFS

Il est indispensable de mettre au point une véritable action de groupe (la « class action » à l’américaine) qui soit maîtrisée par les avocats et non par des associations de consommateurs et qui permette de faire l’économie d’une multitude de procédures là où une seule peut être conduite pour un grand nombre de plaideurs.

Pour la moralisation de la vie économique, la sécurité environnementale et l’intégrité du consommateur, les dommages et intérêts prononcés doivent pouvoir être punitifs. Ils auront le mérite d’être dissuasifs, beaucoup plus que la répétition de sanctions pénales symboliques sans véritable effet pédagogique.

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Les avocats sont à la disposition des parlementaires pour leur fournir leurs réflexions, échanger et travailler avec eux  sur des projets afin de rendre notre justice plus efficace, moins onéreuse et toujours mieux comprise de nos concitoyens.

Paris, le 10 novembre 2010

Christian Charrière-Bournazel

Avocat au barreau de Paris

Ancien bâtonnier de l’Ordre

Vice-président élu du Conseil National des Barreaux