Quel prix pour la justice ?

QUEL PRIX POUR LA JUSTICE ?

                       Le Président de la République a pris en charge une réflexion fondamentale sur la place de la justice dans notre république.

La commission qu’il vient de mettre en place est invitée à réfléchir sur le fonctionnement quotidien de l’institution, et plus encore sur la relation nouvelle que les exigences démocratiques commandent d’instaurer entre ce pouvoir particulier et les autres : le législatif, l’exécutif et le médiatique.

Les avocats ne peuvent que s’en réjouir en souhaitant le plus grand succès à cette commission dont la tâche est immense.

Ils savent, mieux que tous autres, que l’édifice actuel est menacé et que sans réforme de fond, la république des libertés court à des désastres.

Tout débat politicien sur les intentions présumées ou les fantasmes sous-jacents doit être tenu pour subalterne.

Qu’il nous soit seulement permis de formuler à chaud les réflexions que cette initiative nous inspire.

Les vingt et une personnalités nommées sont d’une incontestable qualité.

La composition de ce cénacle appelle cependant trois remarques et un vœu : sur vingt et un membres, quatre seulement sont issus des barreaux. Les auxiliaires libéraux de la justice représentent moins du quart de l’assemblée désignée. Les acteurs quotidiens de la dramaturgie judiciaire, les professionnels du conseil, les rédacteurs d’actes et les agents d’exécution n’ont-ils donc à jouer dans ce débat qu’un rôle accessoire ?

On observe encore la représentation privilégiée des agents de l’exécutif : préfet, membres des juridictions administratives, agent de l’administration des finances, représentants des parquets actuels. Avaient-ils leur place en si grand nombre par rapport aux juges du siège et aux auxiliaires libéraux ?

Enfin, la sous-représentation des femmes est criante : une sur les quatre avocats nommés et seulement 12 % de l’ensemble des magistrats, alors qu’on connaît l’effectif considérable qu’elles représentent parmi les professionnels du droit. Combien de temps devra-t-on encore considérer que les hommes sont les porte-parole privilégiés de l’expérience des femmes ?

Surtout, par-delà les problèmes essentiels d’indépendance et de respect des libertés publiques et individuelles, la question posée au corps social comme à la classe politique est d’une brutale simplicité : une bonne justice n’est pas seulement le fruit d’une séparation effective des pouvoirs. Elle dépend du prix que l’État est prêt à payer pour son efficacité : formation et rémunération des juges et des greffiers, effectifs en nombre suffisant, informatisation systématique des greffes, enregistrements sur bandes magnétiques (comme au CANADA) de tout débat judiciaire, moyens suffisants en personnels et en matériel, assistance aux plus démunis.

Un budget qui demeurerait inférieur pour la justice à celui de ministères déjà traités comme secondaires continuerait à donner la triste mesure d’une absence de volonté politique face aux changements nécessaires et urgents dont tout le monde a conscience.

La justice, seule institution à qui l’on ait donné le nom d’une valeur et sur laquelle se focalise à juste titre l’espérance de millions de citoyens, ne peut pas remplir sa fonction en restant le parent pauvre de la république.

Le prix que l’on se montrera prêt à payer pour la justice donnera le véritable signe de la détermination républicaine de ceux qui préparent le budget et de ceux qui le votent.

Christian CHARRIERE-BOURNAZEL

Avocat au Barreau de PARIS

Ancien Membre du Conseil de l’Ordre