L’avocat et la vérité

L’AVOCAT ET LA VÉRITÉ

 

L’avocat n’exerce aucun pouvoir. Contrairement au médecin ou au juge, il ne prescrit pas, n’ordonne pas, n’interdit pas, ne condamne pas. Sa mission consiste à défendre les intérêts, l’honneur, voire la liberté de ceux qui s’en remettent à lui afin que le juge se rende à leurs raisons.

Bien que, par définition, l’avocat soit de parti pris et qu’il soit enclin à tout mettre en œuvre pour obtenir justice ou gain de cause, peut-il recourir au mensonge ou même le revendiquer, comme par malheur le font certains ?

Les Anglo-Saxons n’ont pas le même rapport que les avocats français avec la vérité. Pour eux, mentir constitue une faute majeure. C’est un « contempt of court », c’est-à-dire un outrage à magistrat. Tout avocat a le droit de se rendre au cabinet de son contradicteur pour se faire présenter le dossier et s’assurer qu’aucune pièce ne lui a été cachée. C’est ce qu’on appelle la « discovery ».

Nos règles sont différentes, non pas que nous ayons le droit de mentir, mais ce qui prévaut chez nous c’est la protection du secret professionnel institué dans l’intérêt de nos clients, secret dont nous sommes les gardiens et les garants.

De la sorte, l’avocat peut se trouver dans une situation de conflit de valeurs.

Un client veut résister à une demande en paiement au prétexte que son fournisseur ne détient aucune preuve de la commande (ses bureaux ont brûlé et il était mal assuré), ni de l’accord sur le prix, ni de la livraison, ni de la réception conforme, alors que le dossier qu’il a remis à son avocat établit indiscutablement que tout a été reçu pour le prix convenu et que les sommes réclamées sont bel et bien dues.

Personne ne pourra reprocher à l’avocat, sauf sa conscience, d’avoir plaidé selon les règles de droit : c’est à celui qui se prétend créancier d’une obligation d’en rapporter la preuve.

Dans une circonstance de cette nature, j’essaierais de convaincre mon client que je ne puis plaider le contraire de la vérité. Peut-être, en revanche, accepterais-je de négocier, pour tirer un avantage limité de la situation, tel qu’une remise de prix ou des délais de paiement. Mais en aucun cas je ne pourrais soutenir qu’il ne doit rien quand je sais qu’il est débiteur. Je cesse d’être respectable si j’utilise la loi pour faire porter le poids de l’injustice par l’adversaire de mon client. Je préfère me retirer du dossier.

Aucun reproche pourtant ne pourra être fait à l’avocat qui s’en sera tenu à l’application de la loi et des règles de procédure.

Au pénal, les choses, de mon point de vue, se présentent différemment.

Il ne m’est jamais arrivé et ne m’arrivera sans doute jamais qu’un client me dise : « Je suis coupable, mais faites-moi acquitter et vous aurez une grosse somme d’argent ». C’est ce qu’imaginent beaucoup de personnes qui croient, à tort, que l’avocat est prêt à tout pour faire relaxer ou acquitter la personne dont il a la charge.

En réalité, les clients  essaient d’abord sur leur avocat leur système de défense. Nous ne sommes efficaces qui si nous sommes vraiment convaincus qu’il y a un doute.

En tout état de cause, les peines encourues par le prévenu et la pression de l’appareil judiciaire sur lui nous font entrer en résistance : depuis les conditions de la garde à vue jusqu’à la peine d’emprisonnement qui s’apparente souvent à des traitements inhumains et dégradants, nous avons raison de vouloir à tout prix que notre client échappe aux rigueurs du châtiment prévu par la loi.

L’économie de vérité que pratique l’avocat lorsqu’il plaide est légitimée par la brutalité de la machine judiciaire, par ses risques d’erreurs et son indifférence à l’égard de l’indignité de la réclusion.

Il en va autrement si cette défense à tout prix peut avoir pour conséquence soit de faire condamner un innocent à la place de celui qu’on défend, soit de faire supporter injustement une souffrance supplémentaire à une victime indiscutable qui attend du procès la reconnaissance de son malheur.

Enfin, reste la question de l’économie de vérité : l’avocat a le devoir de taire une circonstance aggravante que lui a révélée son client et qui, si elle était connue des juges, alourdirait son sort. Le respect du secret fonde le droit au silence. Parallèlement, j’ai le devoir de me taire lorsque mon client refuse qu’une confidence qu’il m’a faite soit révélée à ses juges, alors même qu’elle aurait pu peser en faveur de sa défense.

Notre statut d’avocat français ne manque pas de grandeur puisqu’il nous fait libres d’arbitrer en conscience entre le droit et la vérité.

Mais la liberté qui nous est laissée d’invoquer parfois la loi au détriment du vrai ou de faire échapper à toute condamnation un coupable avéré connaît deux limites : l’avocat ne peut revendiquer plus de droits pour son client qu’il n’en reconnaît à son adversaire. Il ne peut distordre ou ignorer la vérité s’il en résulte une injustice au détriment d’un autre. Pour mesurer si son mensonge ou son économie de vérité était légitime, il lui suffit d’imaginer ce qu’en penseraient les êtres qu’il estime le plus.

Nos mots et nos actes dont dépend le sort de ceux que nous servons ne pèsent auprès de leurs juges qu’en fonction de l’estime que ces juges nous portent.

Le moindre manquement à l’honneur nous transforme en fantômes muets.

 

Paris, le 6 mai 2015    

Christian Charrière-Bournazel