L’affaire Papon

Notes rédigées lors de l’affaire Papon

La tragédie commencée en juillet 1942 vient de connaître son dénouement. Le secrétaire général de la préfecture de la Gironde est désormais incarcéré pour exécuter la peine que la justice des hommes lui a infligée.
Il est toujours très périlleux de prétendre tirer des leçons de l’Histoire au moment même où l’on se trouve immergé dans sa tourmente. Pourtant, je vais m’y essayer sans feindre un recul que je ne puis avoir, mais tout en me gardant des excès de la passion.
Les puissances alliées s’étaient juré, en face de crimes qui révoltaient la conscience universelle, d’en poursuivre les auteurs pour les juger et les punir jusqu’à la fin des temps et aux extrémités de la terre.

Cet engagement unique dans l’Histoire aura été tenu à l’égard des nazis qui furent ramenés d’un autre continent pour être jugés sur les lieux de leurs crimes, et aussi de celui-là qui, sans avoir bougé, s’était hissé au faîte de la puissance et des honneurs d’où la justice l’aura fait redescendre pour le confronter à ses fautes, à ses victimes, à leur descendance.
Le serment solennel formé à Londres par les puissances alliées n’aura pas été vain. La France s’y est elle-même conformée, elle pour qui il était sans doute le plus difficile, le plus humiliant et le plus nécessaire de le tenir.

Ce triomphe de la morale et de l’honneur sera encore longtemps travesti par les uns ou les autres en vengeance de vainqueurs : ils ne trouveront jamais d’arguments pour en convaincre qui que ce soit et leurs misérables tentatives pour nier la Shoah pèseront de moins en moins lourd. Le temps leur donnera leur véritable consistance : celle d’un aveuglement volontaire inspiré aux uns par la peur de la vérité, aux autres par une haine irréductible aussi glacée que leur cœur.

Élection au bâtonnat 2006 – Campagne pour Christian CHARRIERE-BOURNAZEL
« Affaire Papon : l’épilogue » 1/3

Contrairement à ce que ces réfractaires affirment, ce procès ponctue une irrésistible montée en puissance du droit. Les crimes du nazisme et de ses complices ont provoqué une prise de conscience mondiale de la primauté de la personne humaine : de la Déclaration Universelle des droits de l’homme aux tribunaux pénaux internationaux ad hoc et demain à la Cour pénale internationale permanente, en passant par les traités et instruments internationaux, un édifice juridique supranational se met peu à peu en place, de manière irréversible. L’humain, comme valeur absolue de référence, justifie une protection qui ne connaît pas de frontières. Les principes mis en lumière au moment des accords de Londres sont devenus source du droit pour l’avenir de toute la planète.

L’affaire Papon illustre cette force nouvelle du droit que ne peuvent plus mettre en échec ni la détention d’un pouvoir temporel, ni la puissance trompeuse des honneurs amassés au cours d’une vie.
Personne ne peut échapper désormais à la question que, depuis l’aube de l’humanité, Dieu pose ardemment à Caïn : « Le sang de ton frère crie vers moi. Qu’as-tu fait de ton frère ? »
De quoi pèsent alors les rodomontades juridiques qui prétendent en appeler à Strasbourg pour faire condamner la France au motif que sa procédure criminelle contiendrait un archaïsme critiquable ?

L’obligation de se constituer prisonnier la veille de l’examen d’un pourvoi heurte, en effet, nos consciences modernes.

Mais dans les circonstances qui nous occupent, cette question est subalterne et ne peut servir d’écran de fumée à la vérité judiciaire : Monsieur Maurice Papon a bénéficié d’un procès hors du commun. Six mois d’audience pendant lesquels, en citoyen libre, il a pu travailler avec ses avocats tous les soirs sur l’audience du jour écoulé et préparer celle du lendemain. Il a bénéficié, pour raisons de santé, de toutes les interruptions du procès qu’il a sollicitées. Tous les témoins qu’il voulait faire entendre sont venus et ceux qui étaient morts avaient déjà été entendus au cours de l’instruction ou avaient déposé dans un procès antérieur : dès 1983, plaidant pour une journaliste, j’avais déjà rencontré Monsieur Papon et entendu à la barre Monsieur Roger Samuel Bloch, Monsieur Gaston Cusin, Monsieur Bourgès-Maunoury et d’autres dont la Cour de Bordeaux connut les déclarations qu’ils avaient faites alors sous serment. Enfin, il a bénéficié des alliances les plus surprenantes et des soutiens les plus divers, y compris dans les rangs des résistants. Personne n’a été empêché de s’exprimer ; rien n’a été dissimulé ; aucun document ne lui a été opposé qui n’ait été reproduit sur d’immenses écrans dans la salle d’audience, vu par lui, soupesé, débattu.
Il n’a été jugé ni dans les conditions des Sections Spéciales, ni dans celles des tribunaux de l’épuration, mais plus de cinquante ans après les faits, lorsque des passions retombées ne reste que la flamme persistante du souvenir.

Il n’a point été jugé ni condamné par les serviteurs d’une dictature ou par des militaires en service commandé, mais par des hommes et femmes de France tirés au sort selon les pures lois du hasard, face à l’opinion publique universelle et non dans le huis clos d’une cave.

Élection au bâtonnat 2006 – Campagne pour Christian CHARRIERE-BOURNAZEL
« Affaire Papon : l’épilogue » 2/3

Tenter de faire croire aujourd’hui que ce procès serait marqué du sceau de l’injustice ou de l’arbitraire est de l’ordre du mensonge le moins tolérable. Comment ose-t-il prétendre que la France ne serait pas un Etat de droit, qu’on lui aurait fait une violence inouïe, que les juges, les parties civiles, l’opinion publique se seraient acharnés à sa perte au point qu’il se compare aujourd’hui à Dreyfus ou reprend à son compte les paroles de cet autre Juif, Jésus-Christ ?
Après avoir prêté son concours à des centaines d’arrestations et de déportations d’hommes, de femmes et d’enfants qui, jusqu’au 12 janvier 1944, n’étaient pas encore, à ses yeux, selon ses propres mots, « des juifs intéressants », il a choisi de sortir de la scène de la pire manière.
Ses dernières paroles entendues ou lues rejoindront, avec le temps, les boursouflures des orgueilleux et des indécents. Mais l’Histoire nous a appris que le tumulte des imposteurs se succédant les uns aux autres ne laisse après lui qu’une rumeur confuse, tandis que demeure pour l’éternité le silence sacré où reposent nos millions de martyrs innocents.

Élection au bâtonnat 2006 – Campagne pour Christian CHARRIERE-BOURNAZEL
« Affaire Papon : l’épilogue » 3/3