LA répétition de l’indu et l’unite europeenne

CCB/JPS/VP

30/09/98

LA RÉPÉTITION DE L’INDU ET L’UNITE EUROPEENNE

                       Le 15 septembre 1998, la Cour de Justice de Communautés Européennes a rendu trois arrêts – dont celui reproduit ci-après – dans un domaine très important pour tous nos clients : la répétition de l’indu.

En effet, le droit communautaire a permis et permet encore aux justiciables, surtout en leur qualité de contribuables, de s’opposer au paiement de certaines taxes en arguant d’une des quatre libertés fondamentales consacrées par le Traité de Rome.

C’est ainsi qu’en France et plus particulièrement dans nos départements et territoires d’Outre Mer, un certain nombre d’opérateurs économiques ont entamé, il y a vingt ans déjà, un combat judiciaire contre l’octroi de mer.

Cette taxe avait la particularité de ne frapper que les marchandises pénétrant sur le territoire des DOM-TOM, à l’exclusion de celles produites localement, ressuscitant ainsi un véritable droit de douane pourtant aboli définitivement en 1965.

La Cour de Justice a déclaré dans un arrêt LEGROS, rendu le 12 juillet 1992, que le droit communautaire et notamment les articles 12 et suivants du Traité s’opposait à la perception d’une taxe telle que l’octroi de mer. Elle a confirmé cette position dans un arrêt LANCRY en déclarant que la « validitation législative » décidée par le Conseil pour maintenir l’octroi de mer en vigueur était invalide.

Dès lors, les justiciables étaient en droit de penser qu’à tout le moins pour la période se situant après l’arrêt LEGROS – qui avait limité ses effets dans le temps en déclarant que seules les actions introduites avant la date de l’arrêt seraient prises en considération – et jusqu’à la date d’entrée en vigueur du « nouvel » octroi de mer, le 1er août 1993, ils étaient fondés à obtenir le remboursement de cette taxe illégalement perçue.

Mais c’est là qu’on se heurte à la question de la répétition de l’indu qui a fait l’objet d’une jurisprudence abondante. Celle-ci pourrait être – grossièrement – résumée ainsi : le principe est de droit, mais les modalités en restreignent, de manière drastique, l’application.

L’arrêt considéré vient encore rendre les actions des justiciables plus difficiles et éloigner de légitimes espoirs de recouvrer les sommes illégalement perçues.

En vertu du principe de primauté tel que fixé par les arrêts VAN GEND & LOOS et SIMMENTHAL et appliqué en dernier lieu dans l’arrêt FACTORTAME, il semblait acquis que dès lors qu’on détenait un droit en vertu du droit communautaire, les juridictions nationales se devaient de tout mettre en oeuvre pour qu’il puisse être exercé, sous peine de responsabilité de l’État membre concerné (arrêt FRANCOVITCH).

Ce principe était lui-même traduit dans l’arrêt EMMOTT – c’est pourquoi un certain nombre de justiciables italiens ont introduit des actions en répétition de l’indu de la taxe de concession gouvernementale (comme l’ont fait en France des contribuables ayant acquitté indûment l’octroi de mer) après l’arrêt de la Cour ayant déclaré cette taxe contraire au droit communautaire.

Ils ont soutenu – logiquement – que le point de départ de la prescription ne saurait être constitué que par l’arrêt de la Cour.

Malheureusement, la Cour, revenant à son ancienne jurisprudence en la matière, a déclaré que son propre arrêt n’empêche pas l’État en cause de faire état du délai national de forclusion de trois ans.

En conséquence, lorsque le paiement est intervenu trois ans avant l’arrêt de la Cour de Justice des Communautés Européennes constatant l’invalidité de la taxe, le remboursement de celle-ci ne peut plus être demandé par le justiciable qui aura obtenu ladite invalidation.

Or, il est quasi impossible d’obtenir une telle invalidation devant la Cour dans un délai de trois ans.

En conséquence, dès lors qu’un justiciable estime qu’une taxe est contraire au droit communautaire, la bataille judiciaire pour son invalidation ne lui permet nullement d’en obtenir le remboursement : son combat ne saurait viser que l’avenir.

C’est à l’évidence décourageant pour les plaideurs dont le but est rarement de faire avancer le droit, mais bien plus d’obtenir réparation dès lors qu’un de leurs droits a été violé.

Du même coup, risque de se trouve amoindri, faute de saisines, le rôle du juge communautaire qui est de construire, par le droit qu’il a mission de dire, l’unité européenne.

Christian Charrière-Bournazel