AU CŒUR DE LA JUSTICE

CCB/VP

06.10.11

PRÉFACE

AU CŒUR DE LA JUSTICE

Chaque juge, chaque avocat, à tout moment de son parcours professionnel, confronte l’idéal de justice qui l’anime à la réalité de son exercice professionnel.

L’avocat est l’homme ou la femme d’une cause qu’il s’efforce de faire triompher sans jamais recourir au mensonge, mais en mettant tout en œuvre, sa science du droit, sa rigueur intellectuelle, sa force de conviction pour déterminer le juge à lui donner raison. Avec humilité, il accepte, jour après jour, d’être lui-même jugé par ses clients, ses confrères et par les magistrats. Parti prenante de la liturgie judiciaire, il en est un observateur particulièrement informé, attentif et critique. Il a choisi de consacrer sa vie, comme avocat plaidant, à répondre au besoin de justice de ceux qui se confient à lui.

Telle est Stéphanie Marcie dont le parcours est à la fois celui d’une littéraire et d’une juriste. Rien n’est plus important que cette double formation grâce à laquelle la culture irrigue l’aridité du droit. L’art de la rhétorique, en effet, comme le disait Sénèque, consiste à cultiver le beau pour exprimer le vrai.

À l’opposé, le magistrat doit se défier de tout parti pris comme de toute sujétion. Avec humanité et humilité, puisqu’il n’est qu’une personne humaine jugeant une autre personne humaine, il doit se défier de tout a-priori. Indépendant à l’égard de tout pouvoir comme de l’opinion publique, il doit également être comme détaché de lui-même, de ses propres préjugés ou opinions pour n’être soumis qu’au droit. Encore ne l’est-il pas de manière mécanique comme une machine ou un automate. Les anciens disaient « summum jus summa injuria », c’est-à-dire : « l’excès du juridisme conduit aux plus grandes injustices ». Le juge connaît lui-même les imperfections de la justice humaine, l’insuffisance de ses moyens et les turbulences auxquelles elle est confrontée, de réforme en réforme, sans jamais atteindre, comme un fleuve, son profil d’équilibre.

Le parcours de Jean-Christophe Hullin est celui d’un magistrat pénaliste qui a eu l’occasion, au bureau des grâces du ministère de la justice ou de la législation criminelle, de prendre, à plusieurs reprises, de la hauteur avant de redevenir un praticien de l’audience.

Avocats et juges, beaucoup éprouvent, un jour ou l’autre, le désir de réfléchir sur leur pratique professionnelle et de livrer au public le fruit de leur méditation. On ne se consacre pas impunément au service de la justice sans être tantôt exalté, tantôt révolté, tantôt déçu. Cette institution humaine qui porte le nom d’une valeur représente pour tous les êtres une source d’espérance et d’effroi.

Ce qui est nouveau et passionnant dans le livre Au cœur de la justice, réside dans ce dialogue d’une avocate et d’un juge qui se répondent, se complètent ou s’affrontent, animés l’un et l’autre par le souci d’être à la fois concrets et exacts. Ils le font sous l’heureuse médiation de Philippe Harrouard, habile à poser les questions les plus fines et soucieux de ne rien laisser dans l’ombre, pas même ce qu’il y a de plus personnel comme la rivalité qui peut fausser les rapports entre l’un et l’autre, entre celui qui est libre et celui qui doit rester neutre, entre l’avocat chef d’entreprise soucieux de l’économique et le magistrat désintéressé qui n’a pas à se préoccuper de l’intendance puisqu’il est payé au mois le mois par un État anonyme.

On y voit chacun parler de l’autre : le juge apprécie la qualité d’une plaidoirie qui charme, mais prétend qu’elle ne joue qu’à la marge dans le processus de décision. L’avocate proteste que si seul le dossier comptait, il ne serait plus besoin de tenir des audiences alors que son discours peut modifier les premiers sentiments qu’éprouvaient les magistrats avant de l’avoir entendue.

Le livre ne se résume pas à une rivalité, bien au contraire. C’est un échange rigoureux et pertinent sur tous les problèmes quotidiens que l’un et l’autre doivent surmonter. Oserais-je ajouter que ce face-à-face, à la fois déterminé, courtois et profond, est celui de deux êtres que la vie a unis ? Ces deux témoins, en dépit de leurs points de vue différents et parfois de leurs oppositions, ne sont pas seulement liés par leur ambition commune de servir une justice toujours plus juste : Hadrien, leur fils, né le 19 juin dernier, s’il était tenté de suivre leur trace, pourra promouvoir une synthèse à la québécoise ; on ne devient juge au Canada que si l’on a d’abord été pendant au moins dix ans un avocat parmi les meilleurs … Il aura au moins la chance de puiser aux meilleures sources de ces cultures croisées.

Christian Charrière-Bournazel

Ancien bâtonnier de l’Ordre

Vice-président du Conseil National des Barreaux