ARBITRAGE CDR-TAPIE OU LE NOUVEL INCESTE DE LA JUSTICE ET DU POLITIQUE

CCB/VP

31.05.11

ARBITRAGE CDR-TAPIE OU

LE NOUVEL INCESTE DE LA JUSTICE ET DU POLITIQUE

Mme Christine Lagarde, l’un des ministres français les plus populaires et les plus compétents, se voit menacée depuis quelques jours de comparaître devant la Cour de justice de la République. Que des parlementaires d’opposition, à quelques mois d’une élection présidentielle au résultat incertain, s’évertuent à trouver des failles dans un régime qui n’en a pas manqué, nul ne le leur reprochera. Mais que le procureur général de la Cour de cassation, à quelques mois de sa retraite, leur emboîte le pas, ne manque pas de surprendre. Voyons les faits tels que la presse les a rapportés.

La société nommée Consortium de Réalisation (CDR), créée pour soulager le Crédit Lyonnais de son gigantesque passif et de ses actifs « pourris », est en procédure depuis plus de dix ans, contre les mandataires judiciaires chargés de la liquidation des sociétés de M. Bernard Tapie comme de sa faillite personnelle.

Les procédures se succèdent les unes aux autres, interrompues par des tentatives de médiation. Qu’on aime ou qu’on exècre M. Bernard Tapie ou qu’il laisse indifférent, il est de notoriété publique que le comportement du Crédit Lyonnais à son égard a dû ne pas être irréprochable puisque la Cour d’appel de Paris, voici déjà six ans, l’avait jugé gravement fautif.

La Cour de cassation a cassé cet arrêt en 2006 pour des motifs de droit aux termes d’un arrêt qui à la fois ne critique pas la Cour d’appel d’avoir reproché plusieurs fautes au CDR, tout en lui faisant grief d’en avoir retenu un qui n’aurait pas dû l’être. C’est dans ces conditions qu’est intervenue la décision commune prise par le CDR, d’une part, et par les mandataires liquidateurs ainsi que les époux Tapie, d’autre part, de recourir à un arbitrage.

L’arbitrage condamne le CDR à des dommages et intérêts de 285 millions d’euros dont 45 millions au titre du préjudice moral des époux Tapie, soldant non seulement le litige tranché par la Cour d’appel avant cassation, mais tous les autres litiges en cours. La somme est considérable et l’on a rarement vu un préjudice moral fixé aussi haut.

Toutefois, aucun recours n’a été exercé contre la sentence. Le seul possible eût été une action en nullité fondée sur un motif de forme et non pas de fond : violation des droits de la défense, du principe du contradictoire, non-respect des délais prévus, etc … Or, personne à ce jour n’a prétendu qu’il aurait existé un vice de cette nature.

Depuis que la sentence a été rendue, le 7 juillet 2008, on entend ici et là s’exprimer des soupçons sur ce choix de recourir à un arbitrage plutôt que de poursuivre les procédures en cours. On suspecte un arrangement, qui serait nécessairement crapuleux, dans l’intérêt de M. Tapie, grâce à la faveur du Président de la République.

N’ayant été ni de près ni de loin concerné par ce dossier, j’assiste avec stupeur à la dérive que constitue la mise en cause de Mme Christine Lagarde, ministre des finances.

En effet, de quoi s’agit-il ? de la sincérité de la sentence, donc de l’impartialité des arbitres et de leur rigueur éthique. Personne n’en souffle mot. Ce serait d’ailleurs faire injure à trois personnalités indiscutables, connues pour leur compétence technique et leur exigence morale : M. Pierre Mazeaud, Conseiller d’État honoraire et président d’honneur du Conseil Constitutionnel, M. Jean-Denis Bredin, professeur agrégé des universités, avocat à la Cour et membre de l’Académie Française et M. Pierre Estoup, premier président honoraire de la Cour d’appel de Versailles.

Je n’ai lu nulle part (et heureusement !) que l’un ou l’autre de ces trois personnages, et encore moins les trois, auraient été subornés, achetés ou vendus ! Nul ne s’est aventuré à les présenter comme des courtisans qui, à la première demande du monarque, se seraient empressés de lui rédiger la sentence qui lui aurait convenu, avec des chiffres qu’il aurait demandés, en échange d’un mot bienveillant ou d’une caresse flatteuse. Or, implicitement, ces trois éminents juristes sont traités comme des valets, feignant de rendre justice pour répondre aux ordres reçus.

L’analyse perfide qu’on lit ici et là ne tient aucun compte de cette première donnée : il est impensable que trois arbitres de cette envergure aient rendu une décision de complaisance. Mais tout le monde passe sous silence cette prémisse, sans laquelle il n’y a pas de scandale, pour atteindre directement la ministre des finances dans le seul but de porter un coup fatal au Président de la République.

Mme Christine Lagarde saura se défendre. Sans me substituer à son avocat, le bâtonnier Yves Repiquet, je constate simplement que le CDR est une société dotée d’un conseil d’administration qui a voté le recours à l’arbitrage. Le CDR a pour actionnaire l’établissement public EPFR dont le conseil d’administration compte cinq membres : un président, deux parlementaires (un sénateur et un député) et seulement deux hauts fonctionnaires recevant leurs instructions du ministre des finances. Deux sur cinq ne font pas une majorité.

Or, l’EPFR a approuvé à l’unanimité la décision du CDR de s’engager dans l’arbitrage. La ministre des finances, si elle s’y est montrée favorable, n’avait pas le pouvoir de l’imposer.

Mais, ce qui est le plus étonnant, c’est l’empressement du procureur général de la Cour de cassation à saisir d’une requête la commission d’enquête de la Cour de justice de la République, embrayant le pas aux parlementaires d’opposition qui l’avaient saisi, sans pour autant avoir jugé bon, si mes informations sont exactes, de transmettre cette requête à la principale intéressée.

S’il est toujours rassurant de voir qu’un procureur général peut prendre une position qui ne lui est pas dictée par sa hiérarchie, bien qu’il soit subordonné à l’exécutif comme l’a récemment affirmé la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg dans l’arrêt France Moulin c/ France, il est surprenant que dans le même temps, ce soit uniquement sur la ministre que s’acharne la partie publique, alors que ne sont mis en cause ni les conseils d’administration, ni les parlementaires qui ont voté en faveur de l’arbitrage, ni les arbitres contre lesquels n’est formulé aucun grief.

Dès lors, on est amené à se demander quelle résolution a poussé le ministère public à user de son pouvoir dans de telles conditions, juste avant de le quitter.

Le doute est permis à la défense, même si l’accusation est au-dessus du doute.

Cela étant, la France risque-t-elle, pour ce mauvais procès, de voir lui échapper la présidence du FMI ?

Christian Charrière-Bournazel

Avocat au Barreau de Paris

Ancien bâtonnier de l’Ordre