Remise des insignes de chevalier dans l’ordre du mérite à M. Pierre Zerhat

CCB/VP

19.11.13

REMISE DES INSIGNES DE CHEVALIER DANS L’ORDRE DU MÉRITE À M. PIERRE ZERHAT

Le mardi 19 novembre 2013 à 18h30

Cher Pierre,

L’honneur que vous m’avez fait en me priant de vous remettre les insignes de Chevalier dans l’Ordre du mérite a été pour moi l’occasion de vous découvrir.

Votre parcours est tout à fait exceptionnel.

Vous êtes né le 6 février 1957 à Alger, vous avez connu la pension pendant dix années, de sept à dix-sept ans, en raison du divorce de vos parents.

La grande figure de votre enfance a été votre grand-père, avocat d’exception, à Alger d’abord puis ensuite à Nice, qui, en raison même de sa personnalité, vous fit prendre en très mauvaise part la profession qu’il exerçait et qui est aujourd’hui la vôtre.

Vous évoquez discrètement le rôle qu’il joua dans le divorce de vos parents. Ce premier conflit qui vous concerna au premier chef, fut sans doute à l’origine de votre réticence.

Aujourd’hui, vous vous plaisez à lui rendre hommage.

Votre parcours est tout à fait atypique. Malgré de bons résultats scolaires, vous n’avez pas obtenu votre baccalauréat ; mais vous êtes aujourd’hui docteur en droit.

À quinze ans, vous avez pris la décision de suivre des études techniques en électronique et électricité contre l’avis de vos professeurs qui avaient pressenti en vous un juriste : vous finirez avocat.

Vous avez accompli votre service militaire au 3ème régiment du Génie à Charleville-Mézières en 1976.

Vous en êtes sorti sans aucune ressource et sans vraie qualification et vous avez donc fait l’apprentissage de la vie de la manière la plus humble et la plus formatrice : pompiste de nuit, peintre en bâtiment, vendeur de porte-à-porte, soudeur en électronique, électromécanicien, salarié en intérim, vendeur à la sauvette de bijouterie fantaisie dans le métro, puis dans des galeries et enfin dans des boutiques.

Cette capacité à affronter le réel sans préjugé et sans vanité constitue le trait le plus marquant de votre caractère.

Vous y joignez un sens aigu de la fraternité et une grande capacité à attirer la sympathie, une sympathie qui s’approfondit aisément en amitié.

C’est ainsi que vous avez rencontré M. Éric Assous, scénariste et metteur en scène, avec qui vous vous êtes lié au temps de votre jeunesse : vous avez mis au point une bande dessinée intitulée « Dov Bendaïm », inspirée de Mickey Mouse. Vous l’avez créée vous-même. Vous l’avez diffusée sans le concours de personne et vous l’avez vendue lors d’un des festivals de Cannes aux acteurs présents ainsi qu’à un large public qui lui fit un accueil remarquable. Cette bande dessinée relatait les relations particulières entre une mère juive et son fils !

Vous rencontrez Sandra Ohana qui est aujourd’hui votre épouse. Elle finissait ses études de droit pour devenir … avocat ! Le destin à votre insu traçait votre route. Dès cette rencontre qui fut la plus importante de votre vie, vous avez pris la décision d’acheter un fonds de commerce de prêt-à-porter et de bijouterie situé dans une galerie marchande des Champs-Élysées : la Galerie Point Show.

Parce que vous êtes fait pour créer, vous avez inventé une première collection de bijoux. Il ne s’agissait ni d’émeraudes, ni de rubis, ni de diamants, ni de pierres synthétiques. Vous avez créé des bijoux en mousse que vous êtes allé présenter au salon du Bijorka, le salon mondial de la bijouterie. Vous y avez obtenu le premier prix de la création et de l’originalité.

C’est grâce au produit des ventes réalisées lors de ce salon que vous avez pu acquérir le fonds de commerce des Champs-Élysées. Et comme en filigrane le droit ne vous avait pas quitté, même à votre insu, vous avez fait l’objet d’une procédure du syndicat des copropriétaires. Vous avez donc été en relation constante avec des avocats et vous avez mesuré l’importance du droit sur un plan pratique.

Tout va basculer pour vous le 20 mars 1986 lorsqu’une bombe a détruit totalement votre fonds de commerce et réduit en cendres tous vos espoirs de réussite dans le domaine de la mode. Vous en réchappez par miracle mais vous êtes ruiné, d’autant plus définitivement que les attentats ne sont pas couverts à l’époque par les assurances. On se rappelle cet épisode tragique qui avait fait deux morts et vingt-huit blessés graves.

Mais vous êtes d’une incroyable force de vie, doublée d’une aptitude à l’espérance qui force l’admiration.

Là où d’autres se seraient laissés déprimer ou abattre, vous réagissez aussitôt : vous continuez la procédure judiciaire qui vous oppose au syndicat des copropriétaires et vous finirez par triompher devant la Cour de renvoi de Reims après un arrêt de cassation.

En 1990, Sandra, votre épouse, s’inscrit au barreau. De votre côté, vous décidez de créer une entreprise de recouvrement de créances que vous allez appeler « France Défit Recours » (FDR). Quels vont être vos premiers clients ? Très naturellement, vos anciens fournisseurs.

Vous n’en dites rien mais je souligne ce point comme un témoignage de vos propres qualités. Si vos anciens fournisseurs vous ont choisi pour devenir leur mandataire auprès de leurs débiteurs, c’est d’abord que vous aviez été à leur égard d’une honnêteté et d’une ponctualité scrupuleuses et, ensuite que votre énergie, votre vitalité, votre conscience professionnelle avaient frappé leur esprit au point de vous prendre déjà pour le meilleur des défenseurs.

Car vos clients vous demandent plus que de faire de simples lettres recommandées. Ils ont besoin de vous pour prendre en charge leur contentieux.

Votre femme est avocate. Vous ne l’êtes pas. Vous êtes déjà sensible aux règles déontologiques et vous décidez de fermer votre entreprise pour devenir le salarié du cabinet de votre femme à qui vous apportez votre clientèle.

Au sein de ce cabinet, vous créez tout naturellement un département de représentation des avocats devant les différents tribunaux de commerce de Paris et de la périphérie. Ainsi se développe le secteur dit d’avocats mandataires qui, en réalité, va devenir l’activité essentielle du cabinet.

Vos qualités exceptionnelles et vos succès vous font remarquer par un professeur de droit qui vous conseille de faire valider vos acquis professionnels. C’est ainsi que vous obtenez une maîtrise de droit, pour être ensuite accepté, en 2003, en DEA de droit médical et de la santé. Vous obtiendrez avec mention votre master 2.

Un autre de vos professeurs vous pousse à vous inscrire en doctorat. Aidé d’un ami médecin de quatre-vingt-deux ans, vous rédigez une thèse sur la réparation du préjudice médical.

Malgré son caractère théorique, ce sujet n’avait rien d’abstrait pour vous. Vous aviez la volonté de contribuer à améliorer le système judiciaire après avoir observé que dans les affaires médicales, le tribunal de grande instance ou les juges rendent très généralement des jugements conformes aux rapports d’expertises, alors même que les experts médecins ne sont pas toujours d’une totale impartialité.

Pour assurer l’indépendance des juges, vous avez suggéré la création d’un tribunal des affaires médicales (STAM) qui serait composé de chambres spécialisées dans chaque domaine de la médecine. Y siégeraient des médecins ayant reçu une formation juridique, en collégialité avec les magistrats.

Vous êtes allé plus loin encore en suggérant la création d’une Chambre du conseil de sages composée d’éminents professeurs de médecine et de magistrats chargés de rendre des ordonnances en urgence, préfigurant même ce que pourrait devenir le contrôle de l’euthanasie.

Vous avez obtenu la mention très honorable avec félicitations du jury. Vous avez bien raison d’en être fier.

Dès lors, vos pas vous conduisirent inéluctablement sur le chemin qui avait été naguère celui de votre grand-père : vous entrez à l’école de formation des avocats du barreau de Paris. Vous obtenez votre CAPA en 2007 et vous devenez avocat dans le cabinet de Sandra Ohana-Zerhat.

L’homme vivant que vous êtes, soucieux du réel, et qui avait connu la vie humble des petits métiers avec ses hasards, ses joies, ses vicissitudes et ses rencontres, ne va pas se cantonner à une existence d’avocat d’affaires.

Tout de suite, vous défendez des victimes du racisme et de l’antisémitisme, de même que vous êtes aujourd’hui à la disposition des mouvements et associations qui combattent cette lèpre de l’âme. Vous aviez eu une jolie formule dans le procès où vous aviez plaidé contre deux agresseurs d’un juif : « Au tribunal d’arracher la mauvaise racine avant que celle-ci ne devienne un arbre ».

Parallèlement, parce que votre parcours professionnel atypique vous a permis de fréquenter grand nombre de personnes issues de tous les milieux sociaux, vous avez non seulement été un militant d’associations humanistes, mais vous avez également accepté de prendre la présidence du football club du Plessis-Trévise à la demande du maire de la commune au moment où ce club était au bord de la faillite. Vous l’avez redressé après une procédure devant le tribunal de grande instance de Créteil.

Du même coup, et c’est probablement ce qu’il y a de plus attachant dans votre parcours, vous avez aussitôt intégré des éducateurs et entraîneurs issus de milieux défavorisés pour accueillir des jeunes au bord de la délinquance à qui, ensemble, vous avez inculqué les valeurs sportives : le respect de l’autorité, la discipline, le changement de langage et la solidarité.

Cette fonction de citoyen généreux et responsable à l’égard des plus petits et des plus menacés de nos compatriotes mérite notre admiration et notre respect.

Vous êtes l’ancêtre d’une postérité importante de jeunes devenus joueurs professionnels ou arbitres.

Je n’aurais pas été complet si je n’avais pas évoqué vos trois enfants, la part de votre vie qui vous est la plus chère avec votre épouse : Dan, vingt-quatre ans, étudiant en droit et qui prépare un master 2 à la faculté de Créteil, Ilan qui a vingt ans et qui est déjà dans la vie active et Eytan, âgé de quatorze ans et qui est encore au lycée.

La dynastie des avocats Zerhat n’est pas près de s’éteindre. J’y ajoute celle des Ohana.

Ainsi va la vie.

On croit détester la profession d’un père ou d’un grand-père trop puissant, trop présent, trop aimant. Et c’est celle qui vous attendait.

Vous avez cherché votre voie. Mais le souci que vous avez des autres et votre capacité à réinventer la vie après chaque épreuve vous désignait tout naturellement pour devenir avocat : n’est-ce pas notre vocation que de recevoir cet autre dans la difficulté, la souffrance, le deuil ou l’angoisse, le prendre par la main et reconstruire avec lui une vie qui s’effondrait ou lui faire rendre justice à l’heure où ne se distinguait plus dans son quotidien le bien du mal ?

C’est la raison pour laquelle vous êtes avocat.

Vous tenez à associer à l’hommage de la République Stéphanie Arena, docteur en droit et avocat de votre cabinet, et aussi Fabrice Fiszlinski qui, depuis vingt années, travaille à vos côtés. Ayant commencé au plus modeste rang, il est devenu le juriste compétent et l’ami auquel vous attachent des liens profonds.

Voilà les raisons qui nous rendent fiers de vous connaître.

C’est pourquoi, Pierre Zerhat, au nom du Président de la République et en vertu des pouvoirs qui nous ont été conférés, nous vous faisons Chevalier dans l’Ordre national du mérite.

Bâtonnier Christian Charrière-Bournazel