Garde à vue : le sursaut républicain

Christian Charrière-Bournazel est avocat au barreau de Paris, ancien bâtonnier de l’Ordre, vice-président élu du Conseil national des barreaux.

La décision du Conseil constitutionnel qui, pour l’essentiel, déclare inconstitutionnelle la garde à vue à la française, c’est un peu une victoire du barreau, non ?

Je préférerais dire que c’est une victoire du droit. Pendant mon bâtonnat, la question s’est posée avec encore plus d’acuité en raison de deux circonstances : les arrêts de la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg et la garde à vue totalement illégitime d’une avocate de mon barreau accompagnée de manoeuvres indignes et de mensonges des autorités. Une prise de conscience collective s’est alors manifestée, non seulement au sein du barreau mais aussi de la magistrature. On a vu, ici et là, des juges annuler des procédures pénales, à Paris, à Bobigny, à Saint-Brieuc, à Rennes, à Metz et en bien d’autres juridictions. Des hommes et des femmes, avocats et juges, garants du droit et gardiens des libertés, se sont dressés contre l’arbitraire. J’y vois comme un sursaut de la conscience française.

Le Conseil constitutionnel, qui maintient certaines procédures dérogatoires et exclut ainsi parfois l’assistance de l’avocat, aurait-il pu (dû) mieux faire ?

Evidemment ! Rien ne justifie une dérogation à la protection des libertés. On sait ce que valent les régimes d’exception et les juridictions du même nom (les Sections spéciales, la Cour spéciale de justice militaire, la Cour de sûreté de l’Etat et demain la rétention de sûreté). Même si je salue le Conseil pour avoir rappelé les principes fondateurs de notre démocratie, je l’invite modestement mais fermement à méditer sur les systèmes voisins dont, d’une manière honteuse, la chancellerie continue à affirmer qu’ils seraient similaires aux nôtres. Mensonge ! En Espagne, depuis 1979, la loi impose la présence de l’avocat en garde à vue dès la première minute, même en matière de terrorisme. Les avocats ne sont nullement démunis jusqu’au 1er juillet 2011. Ils doivent continuer à soulever la nullité de toutes les gardes à vue au regard des arrêts de la CEDH.

Que reste-t-il désormais à faire au gouvernement pour être concrètement en phase avec la décision du Conseil ?

Il lui faut d’abord changer de mentalité. Avec stupéfaction, j’ai lu que la chancellerie voyait dans l’arrêt du Conseil l’approbation de ses analyses et de son projet de réforme de la procédure pénale. C’est une imposture. Il vient au contraire de dénoncer comme contraires à la Constitution des pratiques que la chancellerie non seulement n’avait jamais condamnées, mais continue de prescrire. Je n’attends donc pas grand-chose du gouvernement. En revanche, nous devons agir auprès des parlementaires pour les informer. Je leur avais adressé une proposition de loi conçue comme suit : « Toute personne placée en garde à vue doit faire immédiatement l’objet d’une audition, avec l’assistance d’un avocat si elle en fait la demande. En ce cas, l’audition est différée jusqu’à l’arrivée de l’avocat ». La garde à vue n’est pas faite, en effet, pour figer dans l’isolement et l’angoisse une personne pendant des heures avant d’être entendue ou conduite devant un juge. Moins les lois sont complexes, plus les libertés sont sauvegardées.

Comment concilier, dans le texte futur, ces deux impératifs que sont l’efficacité de l’enquête en vue de la manifestation de la vérité et le respect des libertés fondamentales de la personne gardée en vue?

Il n’y a pas d’opposition entre la recherche de la vérité et le respect des libertés. La garde à vue n’est pas faite pour établir la vérité, mais pour empêcher toute entrave à cette recherche. C’est très différent. Le président de la République lui-même l’avait dit le 7 janvier 2009 devant la Grand’ Chambre de la Cour de cassation lorsqu’il avait déclaré avec force vouloir substituer une culture de la preuve à une culture de l’aveu. Il appartient à la police de rechercher les indices et les éléments matériels permettant d’identifier le ou les auteurs d’une infraction. La garde à vue ne peut être justifiée que par un nombre très précis de critères : empêcher la fuite d’un suspect pour le conduire le plus rapidement possible devant un juge ; éviter qu’il n’avertisse des complices ou ne supprime des preuves ; l’empêcher de récidiver ou enfin le mettre à l’abri de la vengeance populaire. En aucun cas, la garde à vue ne peut être utilisée comme un châtiment préalable à tout jugement (ce qui est le cas de la plupart des gardes à vue en matière de conduite en alcoolémie), ni comme le moyen d’obtenir coûte que coûte des aveux. Est-il utile de rappeler le nombre de condamnés qui, rendus à la liberté après des années d’emprisonnement, avaient faussement avoué à la police des crimes qu’ils n’avaient pas commis ? Je récuse donc toute opposition entre la recherche de la vérité et le respect des libertés. Ne nous lassons pas de répéter la phrase de Benjamin Franklin : « Celui qui sacrifie une liberté essentielle au profit d’une sécurité éphémère et aléatoire ne mérite ni la liberté ni la sécurité ».

Recueil Dalloz – 2 septembre 2010 – n° 29