Droit

CCB/VP

02.09.11

DROIT

1 – Essai de définition

Le substantif « droit » désigne « l’ensemble des règles qui régissent les rapports sociaux » selon la définition des manuels du début du XXème siècle.

Cette définition est incomplète puisque le droit ne se limite pas à réglementer les relations avec les autres (les personnes entre elles ou avec les institutions publiques) ; il s’ingère aussi dans les comportements de l’individu qui ne concernent que lui. La définition ancienne marquait la volonté de s’affranchir dans une société laïque de l’omnipotence du religieux. Dans la société de l’Ancien Régime, comme dans toutes les théocraties, il n’y avait point de règle qui ne fût subordonnée aux principes découlant de la religion d’État. Vanini, libre penseur, fut brûlé en place publique à Toulouse au début du XVIIème siècle pour avoir affirmé, comme le fera le Don Juan de Molière, qu’il ne croyait qu’en une seule vérité : que deux et deux font quatre.

Le droit, c’est-à-dire l’ensemble des lois édictées par le législateur souverain dans un État indépendant, même laïc, ne laisse pas l’individu disposer totalement de lui-même : l’interdiction de consommer des stupéfiants en est un exemple. Les lois sur la bioéthique (la réglementation de l’avortement, la procréation assistée ou l’interdiction de la gestation pour autrui en France) sont à mi-chemin : elles concernent à la fois les rapports de l’individu avec son corps et avec celui d’un autre, l’enfant à naître ou à ne pas laisser vivre.

2 – Variabilité du droit

Dans une société qui ne se réfère plus au divin, le droit est en perpétuel devenir. Il varie avec la conscience collective. C’est elle qui rend obsolète la loi ancienne et conduit le législateur à abroger, modifier ou créer la règle. En France, jusqu’à la deuxième moitié du XXème siècle, une femme était jugée criminelle parce qu’elle s’était fait avorter. Aujourd’hui, sont jugés comme délinquants ceux qui ont tenté d’empêcher une femme d’exercer son droit à l’avortement. Ainsi, le droit peut-il varier considérablement en un temps très court.

Variable, le droit peut camper contre la vérité, contre la morale et contre la justice. Contre la vérité : la loi interdit d’établir la filiation d’un enfant né sous X. L’enfant abandonné à sa naissance, puis adopté, se voit interdire de connaître son ascendance. Contre la morale : le proxénète qui s’enrichit grâce à la prostitution d’un autre commet un délit ; mais l’État qui taxe d’office les revenus de la prostituée avec le concours des juridictions administratives ne se soucie pas d’être lui-même un proxénète. Contre la justice : une diffamation ne peut être poursuivie que dans les trois mois de sa publication. ; passé ce délai, la victime n’a plus de prise contre le diffamateur et la mémoire perpétuelle de l’informatique met à la disposition de tous l’insupportable imputation contre laquelle, une fois passée la prescription, il n’y a plus de recours.

L’imperium de la loi est absolu, bien qu’elle soit indépendante de la morale et éphémère dans sa durée. Dans une société démocratique, le corpus législatif a pour but d’opposer un ordre raisonnable et acceptable par le plus grand nombre afin de neutraliser le plus possible le désordre des forces dont le droit est l’intermède, pour reprendre le mot de Paul Valéry.

3 – Eglise/Droit/Etat

Qui fait la loi ?

Chaque État est souverain et par conséquent maître de son ordre législatif. Chaque État assigne, selon sa volonté, le rôle de législateur à qui il veut. Sous l’Ancien Régime, le roi était le législateur. Aussi incertain et velléitaire qu’il fût, Louis XVI avait déclaré au Parlement de Paris : « C’est légal parce que je le veux !». Pour autant, la loi n’avait de force exécutoire qu’autant qu’elle avait été enregistrée par les parlements régionaux. Si un parlement refusait d’enregistrer l’édit royal, le roi devait s’y déplacer pour y tenir « lit de justice ». Comme il ne pouvait aller partout, un grand désordre législatif régnait, qui faisait dire en substance à Voltaire que lorsqu’on va de Paris aux extrémités du royaume, on change plus souvent de loi que de cheval ! Ce pouvoir absolu du législateur, auquel Antigone avait tenté d’imposer la suprématie de la loi divine, est resté présent dans les esprits jusqu’à une période récente. Un parlementaire, voici moins de trente ans, avait lancé aux députés de l’assemblée nationale : « Vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaires ! ».

Les formes de gouvernement sont l’affaire des peuples, qu’ils les choisissent ou qu’ils les subissent. La loi n’a de force que si elle émane d’un corps législatif désigné par le peuple ou si la crainte du tyran désarme toute volonté de transgression. Dans les sociétés libres, la loi n’est rien sans l’éventuelle contrainte des juges. « Sans le jugement, la loi n’a pas de force ; elle n’est plus qu’un précepte moral aussitôt bafoué par les cyniques … », disait Georges Bernanos.

Il n’est point de société où le respect du droit suffise à faire l’économie de la coercition.

4 – Droit et Droits

Au singulier, le mot « droit » désigne l’édifice des règles qui s’imposent à tous. Au pluriel, il définit ce qui appartient à l’individu. Cette apparente opposition entre le droit et les droits mérite qu’on s’y arrête : le droit, en ce qu’il distingue ce qui est permis de ce qui est interdit, limite la liberté de l’un par respect de celle des autres, énonce ce que la société toute entière ne peut tolérer de personne et organise la répression des manquements à la loi.

Dans un État tyrannique, le droit fait offense aux droits : ce qui n’est pas permis par la loi est interdit. Et la loi se soucie davantage de maintenir l’ordre du pouvoir que d’assurer l’épanouissement de chacun. La Révolution française en fournit un exemple : le premier geste des futurs constituants réside dans la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen : contre l’ordre d’un droit injuste, le citoyen s’insurge et revendique ses droits. De même que le roi cesse d’être le mandataire de Dieu pour devenir celui du peuple, de même sa loi n’est plus légitime si elle offense les droits nouvellement proclamés comme inaliénables et sacrés.

L’exaltation de l’être individuel contre l’injustice d’un pouvoir perçu comme arbitraire impose de redéfinir la relation entre le personnel et le collectif, entre le droit positif et des valeurs supérieures, qui bien que non encore écrites, découlent du respect de la personne humaine dictant des normes supérieures.

Tout le XIXème siècle français constitue un long cheminement de la société vers la reconnaissance de droits de plus en plus clairement définis : la liberté d’expression conquise avec la Révolution de juillet 1830, le suffrage universel (pour les seuls hommes) à la fin du règne de Louis-Philippe, l’abolition de l’esclavage par le gouvernement provisoire de la République d’Alphonse de Lamartine, le droit de grève. Ce sont d’abord les libertés publiques (la presse, le vote, les associations, les droits sociaux) qui montent en puissance. Les droits individuels s’y trouvent en germe. Le Capital de Karl Marx invente la valeur ajoutée : celle du travail des êtres humains sans qui le capital serait stérile. Y fait écho l’encyclique de Léon XIII Rerum Novarum dans laquelle il expose que le travail humain n’est pas une marchandise. L’idée que les hommes sont égaux en dignité, qui a conduit à l’abolition, habitait l’esprit des Romantiques, tels Victor Hugo s’exclamant : « O insensé qui crois que je ne suis pas toi ! ». Alors que l’Église, muselée par la Révolution et combattue au nom de la République laïque, semble en déclin, les valeurs même de l’Évangile progressent dans la conscience collective.

Le gouvernement de 1936 institue au profit des ouvriers et des salariés le repos dominical obligatoire et les congés payés. Il réglemente la durée du travail hebdomadaire, autant de droits témoignant d’un plus grand respect des personnes. Après la régression de l’État français, souscrivant à la politique du Troisième Reich qu’il seconde en déportant les Juifs criminels d’être nés (cf André Frossard Le Crime contre l’humanité), le monde prend conscience de l’impensable.

Les souverains ne sont plus absolus ni les États maîtres d’édicter n’importe quelles lois. La notion de crimes contre l’humanité, dont Voltaire avait eu la prémonition lorsqu’il parlait de « crimes qui révoltent l’humanité toute entière » (Dictionnaire philosophique, article « Des délits locaux ») contient implicitement la reconnaissance de ce qu’il n’est qu’une seule espèce humaine d’une extrémité à l’autre de la terre, dotée de droits qui s’imposent à tous les gouvernants.

5 – Droits de l’homme et justice internationale

La Déclaration universelle des droits de l’homme proclamée en 1948 par l’assemblée générale des Nations Unies définit ces droits : le droit à la vie, à l’intégrité physique, à la personnalité juridique, à l’égalité devant la loi, à la liberté de penser, de croire, la liberté d’expression et d’opinion, celle d’aller et venir, le droit à un procès équitable et à la présomption d’innocence, le droit à la vie privée, à une nationalité, le droit d’association, le droit au travail et au repos, etc … Le mot « universelle » a été imposé par René Cassin plutôt que le mot « internationale » qui renvoyait à l’idée d’un pacte entre nations souveraines à la manière d’un traité, alors que l’espèce humaine transcende toutes les frontières, s’impose à tous les États et défie le temps.

Le 4 novembre 1950 est signée la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. Il ne s’agit plus seulement d’un pacte. Les États signataires créent en même temps un organe juridictionnel, la Cour européenne des droits de l’homme, chargée d’appliquer et d’expliciter les droits que la Convention consacre et de juger les manquements commis envers eux par la justice d’un des États signataires. Si la Cour européenne des droits de l’homme n’a pas le pouvoir de substituer un jugement au jugement définitif d’un État membre, du moins peut-elle condamner l’État en raison d’une décision judiciaire injuste, qui s’est elle-même référée à une loi interne de la sorte condamnée.

Des pactes successifs ont été depuis adoptés par le Conseil de l’Europe qui regroupe aujourd’hui quarante-sept États. Aux libertés fondamentales auxquelles sont consacrés les cinquante-neuf articles de la Déclaration d’origine, se sont ajoutés des protocoles rappelant la protection de la propriété, le droit à l’instruction, à des élections libres, l’interdiction de l’emprisonnement pour dettes, la liberté de circulation, l’interdiction de l’expulsion des nationaux (l’ancien bannissement grec), l’interdiction des expulsions collectives, l’abolition de la peine de mort, les garanties procédurales, l’égalité entre époux, le droit à indemnisation en cas d’erreur judiciaire et le droit à un recours effectif.

Au fil des ans, la personne humaine s’est vue ainsi, par le biais des protocoles et de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg, instituée en seule source légitime et seule finalité du droit. Les droits ne s’opposent plus au droit. Le droit au singulier n’est désormais légitime qu’autant qu’il respecte, protège et promeut les droits de la personne humaine.

Chacune des dispositions initiales, des adjonctions ou des jugements intervenus sont imprégnés de la culture chrétienne. Le droit de chacun au respect de sa personne, de sa liberté, de sa dignité est en parfaite harmonie avec le testament que nous a laissé Jésus Christ. À chacun d’y ajouter, pour qu’il ne soit pas seulement un corpus de règles impératives, la charité.

Le droit des personnes a besoin d’une justice supranationale. Le tribunal de Nuremberg créé par les accords de Londres d’août 1945, est la première juridiction de ce type. La monstruosité des crimes commis par le régime nazi requérait que soit assignée à leurs auteurs leur responsabilité. Comme un écho à Dieu qui interpelle Caïn : « le sang de ton frère crie vers moi ; qu’as-tu fait du sang de ton frère ? », les victimes et leurs descendants attendent de la justice des hommes que soit rompu le silence qui les supprimerait une deuxième fois. Dans cette seconde moitié du XXème siècle, ont vu le jour, la Cour européenne des droits de l’homme à compétence régionale, les tribunaux ad hoc chargés de juger les crimes commis dans l’ex-Yougoslavie, le tribunal d’Arusha les auteurs du génocide rwandais. La Convention de Rome de 1998 a permis la naissance de la première juridiction universelle, la Cour Pénale Internationale, qui a vocation à juger tout homme, serait-il un gouvernant ou un souverain, qui en tout point de la terre se sera rendu coupable de crimes contre l’humanité, de génocide, de déportation, d’asservissement sous toute forme, etc …

 

6 – Mise à distance critique

Ici et là les uns critiquent ce qu’ils estiment être une justice de vainqueurs ; d’autres la tiennent pour une résurgence du colonialisme occidental. Ils en veulent pour preuve que les grands États, les plus puissants et les plus riches de la planète, (les États-Unis, l’URSS ou la Chine), n’ont pas souscrit à la Convention de Rome et, par conséquent, ne reconnaissent pas la légitimité de la Cour Pénale Internationale. Pourtant, dans le Tiers-Monde même, des hommes et des femmes proclament sa nécessité. À ceux qui prétendent douter de l’universalité des droits de la personne humaine, d’autres répondent que l’universalité de la souffrance, identique pour chaque femme lapidée ou violée ou chaque enfant martyrisé, donne la mesure de l’universalité des droits. Si notre civilisation a permis, au fil des siècles, la reconnaissance de la dignité de toute personne humaine, c’est parce qu’elle a été irradiée par le christianisme.

Pour autant, l’ordre juridique de nos sociétés et des autorités judiciaires chargées d’en assurer l’application sont la plupart du temps impuissants à s’inspirer de la justice divine ou à la préfigurer. Notre corpus législatif, parce qu’il est le reflet de contraintes opposées ou de désirs violents, intègre des lois contraires à l’esprit de l’Évangile. On légifère sur l’exception, puis quelque temps après, elle se transforme en droit. L’avortement en est une illustration. Il était inique de condamner comme criminel une malheureuse qu’un viol avait mise enceinte. Fallait-il passer de l’exception qui force au respect et au pardon à l’institution d’un droit à l’avortement ? Il est injustement cruel de punir le père ou la mère qui a abrégé, en lui donnant la mort, les souffrances atroces de son enfant à l’agonie. Faut-il pour autant légaliser l’euthanasie ? On s’incline avec admiration devant le frère qui accepte de donner l’un de ses reins à sa sœur dont les deux sont perdus et qui va mourir. Est-il, en même temps, légitime de transformer des embryions congelés en matière première pour soulager les malades ou fabriquer des clones ?

L’éthique chrétienne induit la plus grande compassion envers chacun de ceux qui souffrent. Mais l’infirmité de notre nature nous porte plus souvent à condamner qu’à compatir et l’orgueil dont nous sommes pétris nous pousse à travestir en droits nos faiblesses plutôt que de devoir notre immunité à la charité, entendue au sens le plus pur. De la sorte, le droit promulgué par l’État provoque des cas de conscience. Les exemples sont multiples et il n’existe d’issue que dans la transgression librement assumée. Le roi des Belges, Baudouin 1er, abdiqua le temps nécessaire pour ne pas avoir à promulguer une loi heurtant sa conscience. Quand le service militaire obligatoire d’un an existait, les jeunes objecteurs de conscience assumaient deux ans d’emprisonnement pour ne pas porter l’uniforme. Un prêtre est mort au bagne, martyr du secret, faute d’avoir révélé le nom de l’assassin qui s’était confessé à lui tout en laissant dans le presbytère des indices qui le firent condamner à sa place. Qu’il s’agisse de l’honneur de la transgression ou du respect d’une loi supérieure, ces exemples, parmi des milliers d’autres, sont autant de confrontations entre l’ordre légal et les exigences de la conscience.

La fonction de juger semble heurter de front la maxime de Jésus : « Ne jugez pas si vous ne voulez être jugé ». Pourtant, l’exigence de justice est une des passions les plus fortes dans le cœur des hommes. Seule institution humaine qui porte le nom d’une valeur (il n’y a ni ministère du beau, ni ministère du bien, ni ministère du vrai), elle a pour aliment l’aversion de l’injustice. Dans Le journal d’un curé de campagne, Georges Bernanos fait dire au curé de Torcy : « Tu ne sais pas ce que c’est que l’injustice. Surtout ne t’imagine pas que tu la feras reculer en la regardant dans les yeux comme un dompteur : tu n’échapperas pas à sa fascination et à son vertige. Ne la regarde que juste ce qu’il faut et surtout ne la regarde jamais sans prier ».

Il n’est de justice que celle de Dieu. On lit dans l’Ecclésiastique : « Toutes leurs actions sont devant lui comme le soleil, ses regards sont assidus à observer leur conduite. Leurs injustices ne lui sont point cachées, tous leurs péchés sont devant le Seigneur. Mais le Seigneur est bon et connaît sa créature, il ne les détruit ni ne les abandonne, mais les épargne ».

Aussi approximative, orgueilleuse et parfois inhumaine que soit la justice des hommes, elle est nécessaire. Un rescapé d’un camp d’extermination, témoin au procès de Klaus Barbie, avait raconté l’arrivée des alliés pour libérer le camp. Les rayés et les tondus promis à la mort étaient sortis de leurs baraquements, ébahis de voir leurs bourreaux sans arme, entourés des soldats armés. Les alliés, avant de partir continuer la guerre, leur laissèrent des vivres et des armes. Les déportés se trouvèrent ainsi seuls désormais maîtres de leurs bourreaux désarmés. Le témoin raconta que leur unique obsession et leur seul souci avaient été qu’il ne tombe pas un cheveu de leur tête avant d’avoir été remis à une justice. Ils se privèrent sur leurs rations de nourriture pour que leurs tortionnaires ne manquent de rien. Ce renoncement à la vengeance immédiate plaçait d’un seul coup dans une sublime relation avec la transcendance ceux qui venaient de vivre l’inhumain, mais qui croyaient encore en la dignité de notre espèce.

7 – Limites aux droits et immunités

En même temps, les droits dont disposent les individus ne sont pas absolus. Leur exercice se heurte à trois limites : les droits des tiers, les nécessités publiques et l’interdiction de l’abus.

Les droits trouvent leur limite dans ceux d’autrui. Ainsi, la liberté d’expression se heurte-t-elle aux droits de chacun au respect de sa vie privée. La liberté de conscience et de religion assure à chacun le droit d’en pratiquer les rites et d’en porter les insignes en public ou en privé. Mais la laïcité de l’État proclamée en 1905 impose la neutralité dans l’exercice d’une fonction publique.

Chaque État a la faculté d’édicter des règles restreignant les libertés pour tout ce qui touche à la sécurité ou à la santé publique, à l’ordre public, à la morale publique ou aux droits des tiers, pourvu que ces mesures soient strictement nécessaires et proportionnées dans une société démocratique.

Il n’est pas permis d’abuser d’un droit. Un propriétaire, maître sur son fonds, abuse de son droit de propriété lorsqu’il érige une cheminée inutile dont la seule fonction est d’empêcher son voisin de jouir de la vue. Il en va de même du droit d’ester en justice qui dégénère en abus lorsqu’une procédure est engagée sans autre justification que de nuire. De la sorte, se trouve ménagé par la législation et la jurisprudence le nécessaire respect des droits de l’autre imposant une limite à ses propres droits.

À ces limitations s’opposent des immunités ou des excuses légitimes.

L’immunité de la défense interdit de faire condamner les écrits produits ou les propos tenus devant les tribunaux pour autant qu’ils ne soient pas étrangers à la cause. Bénéficient de la même immunité les discours prononcés devant les assemblées parlementaires et le compte rendu fait de bonne foi des débats judiciaires.

Les excuses ou les faits justificatifs, strictement définis par la loi, ont pour objet de rendre juste l’auteur de certains crimes ou délits pour une raison supérieure ou une exigence irrésistible telles que le commandement de l’autorité légitime, la légitime défense, l’état de nécessité ou enfin la force majeure. Le droit s’applique ainsi à régir l’équilibre, toujours instable, entre des droits qui se contredisent ou se heurtent et les nécessités de la vie en commun. Les contradictions inhérentes à notre humanité sont insolubles dans le temps de la terre. Du moins est-il réconfortant de constater ce que l’évolution de notre droit doit à la sagesse chrétienne.

Ainsi notre condition nous rend-elle tributaires d’un ordre du droit discutable, contrôlé par des juges imparfaits. Mais dans sa marche vers l’avenir, la collectivité humaine manifeste une conscience toujours plus vive de la valeur de chaque personne, l’élève désormais au-dessus de tout pouvoir pour la placer entre le souverain et Dieu.

Christian Charrière-Bournazel

Paris, le 2 septembre 2011