CONGRÈS DE SANTORIN (GRÈCE) DE L’ASSOCIATION MÉDITERRANÉENNE D’ANDROLOGIE

CCB/MC

27.05.04

CONGRÈS DE SANTORIN (GRÈCE) DE L’ASSOCIATION MÉDITERRANÉENNE D’ANDROLOGIE

(Mercredi 26 mai 2004 – Mardi 1er juin 2004)

LA RESPONSABILITÉ DE L’ANDROLOGUE

De toutes les espèces animales, l’espèce humaine est la seule à pouvoir envisager la relation sexuelle hors la fonction reproductrice.

Que les civilisations successives érigent autour de la fonction sexuelle des tabous religieux, des règles morales ou juridiques, ou des rites comportementaux codifiés, le sexe en ce qu’il est l’instrument par excellence du plaisir ressenti ou partagé fait légitimement l’objet de notre attention.

Il est en même temps un élément essentiel de l’identité de chacun.

Quelle est la responsabilité du médecin appelé à venir au secours du sexe ? Qu’il s’agisse d’un sexe infécond, d’un sexe mutilé, d’un sexe jugé inesthétique ou insuffisant, la problématique n’est pas la même.

L’objet de ce court propos est de donner quelques idées directrices. C’est essentiellement au regard du droit français et de la jurisprudence française que seront fournies ces pistes de réflexion.

Après un rappel préliminaire des textes législatifs fondateurs, seront abordés successivement les problèmes touchant :

  • à l’intervention chirurgicale en rapport avec la fécondité ;
  • le transsexualisme ;
  • l’intervention réparatrice et l’andrologie esthétique ou de confort.

 

I – PRÉLIMINAIRE :

Le droit anglo-saxon a, le premier, mis en exergue les droits de chaque personne humaine sur son propre corps. Le plus misérable, qui n’a rien, possède au moins son corps. C’est l’« habeas corpus ».

L’article 16 du code civil français dispose :

« La loi assure la primauté de la personne, interdit toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de l’être humain dès le commencement de sa vie. »

Issu d’une loi du 29 juillet 1994, cet article ne fait qu’inscrire dans le droit français l’article 2 de la convention européenne des droits de l’Homme qui garantit le droit à la vie.

Viennent ensuite trois prescriptions législatives :

– L’article 16-1 proclame l’inviolabilité du corps humain :

« Chacun a droit au respect de son corps.

Le corps humain est inviolable.

Le corps humain, ses éléments et ses produits ne peuvent faire l’objet d’un droit patrimonial. »

– L’article 16-2 donne pouvoir au juge d’intervenir dans l’intérêt de la protection du corps humain :

« Le juge peut prescrire toutes mesures propres à empêcher ou faire cesser une atteinte illicite au corps humain ou des agissements illicites portant sur des éléments ou des produits de celui-ci. »

– Enfin, l’article 16-3 qui concerne le plus directement notre propos encore puisqu’il assigne des limites à l’intervention médicale :

« Il ne peut être porté atteinte à l’intégrité du corps humain qu’en cas de nécessité “médicale” pour la personne.

Le consentement de l’intéressé doit être recueilli préalablement hors le cas où son état rend nécessaire une intervention thérapeutique à laquelle il n’est pas à même de consentir. »

Ainsi, au nom du droit de chacun au respect de son corps se trouve limité à la « nécessité médicale » l’atteinte à l’intégrité du corps.

La chirurgie est traitée comme une exception faite au respect de l’intégrité.

Personne ne peut se voir imposer de subir une opération. Toute personne a le droit de refuser une intervention chirurgicale.

Est-ce, pour autant, que toute opération chirurgicale consentie est licite ? Voilà ce que nous allons tenter d’examiner rapidement.

II – ANDROLOGIE ET FÉCONDITÉ

Autant est admise par la jurisprudence la légitimité d’interventions chirurgicales destinées à remédier à une infécondité, autant l’intervention contraire qui viserait à restreindre la fécondité est, elle, jugée illicite.

La Cour de cassation a estimé dans un avis du 6 juillet 1998 qu’une ligature des trompes de Fallope, pratiquée en dehors de toute nécessité thérapeutique, constitue une atteinte à l’intégrité du corps humain prohibée par l’article 16-3 alinéa 1er du code civil.

Ainsi l’atteinte portée à la fécondité est-elle contraire à la loi.

Bien qu’il ne s’agisse que d’un avis, il n’a pas été annulé depuis par une décision juridictionnelle contraire.

Simplement la Cour de cassation, le 6 février 2001, a rendu un arrêt qui a cassé l’arrêt d’une cour d’appel, laquelle avait condamné pénalement un chirurgien pour avoir procédé sur une malade à une stérilisation tubaire qu’aucune nécessité évidente ni aucun danger immédiat n’imposaient et sans s’être assuré de son consentement libre et éclairé.

De cet arrêt on peut déduire que le médecin aurait été légitimement condamné si la cour d’appel avait pris soin de caractériser l’élément intentionnel du délit de violence.

 

III – LE TRANSSEXUALISME

En 1975, la Cour de cassation avait estimé que le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes, corollaire de l’ordre public, interdit de prendre en considération la modification artificielle des attributs du sexe consécutive à une intervention chirurgicale. Du même coup, le transsexuel ne pouvait voir son état civil modifié par l’indication de ce que le sexe masculin serait devenu sexe féminin.

En 1992, le 11 décembre, la Cour de cassation a rendu un arrêt contraire en jugeant :

« Lorsque, à la suite d’un traitement médico-chirurgical subi dans un but thérapeutique, une personne présentant le syndrome du transsexualisme ne possède plus tous les caractères de son sexe d’origine et a pris une apparence physique la rapprochant de l’autre sexe, auquel correspond son comportement social, le principe du respect dû à la vie privée justifie que son état civil indique désormais le sexe dont elle a l’apparence. »

Et pour bien montrer la rupture avec l’état du droit antérieur, la Cour de cassation a indiqué :

« Le principe de l’indisponibilité de l’état des personnes ne fait pas obstacle à une telle modification. »

Le respect dû à la vie privée autorise la modification de l’appartenance sexuelle.

Du même coup, la responsabilité du chirurgien opérant en cette matière peut être ramenée à celle du chirurgien esthétique elle-même abordée par la jurisprudence de deux points de vue :

  • la chirurgie réparatrice nécessaire ;
  • la chirurgie de confort ou, lit-on parfois, de caprice.

 

IV – L’ANDROLOGIE RÉPARATRICE ET L’ANDROLOGIE DE CONFORT

A – LES PRINCIPES APPLICABLES

1) Le droit à une médecine efficace et raisonnable

L’article L.1110-5 du code de la santé publique tel qu’il résulte de la loi du 4 mars 2002 dispose :

« Toute personne a, compte tenu de son état de santé et de l’urgence des interventions que celui-ci requiert, le droit de recevoir les soins les plus appropriés et de bénéficier des thérapeutiques dont l’efficacité est reconnue et qui garantissent la meilleure sécurité sanitaire au regard des connaissances médicales avérées. »

Ainsi, il se trouve consacré le droit de chaque personne de bénéficier de l’état le plus avancé de la médecine en matière de soins appropriés et de sécurité.

Le même article dit encore :

« Les actes de prévention, d’investigation ou de soin, ne doivent, en l’état des connaissances médicales, lui faire courir de risques disproportionnés par rapport au bénéfice escompté. »

Ce principe de raison proportionnée est tout à fait fondamental en ce qu’il crée à la charge des chirurgiens un devoir d’abstention aussi impératif que l’éventuelle obligation d’intervenir.

2) Le principe de précaution

On le sait le médecin est tenu à une obligation de moyens mais non pas à une obligation de résultat.

Mais les choses sont un peu plus subtiles et complexes.

Il existe, en effet, désormais en droit français le principe de précaution.

Introduit en 1995 dans une loi relative au renforcement de la protection de l’environnement, il apparaît en 1998 dans une loi relative à la responsabilité du fait des produits défectueux et fait l’objet d’une réflexion en vue de son implication à la relation entre le médecin et son patient.

Ce principe de précaution fait peser sur le médecin une responsabilité supérieure à la simple obligation de moyens.

En effet, l’obligation de moyens à laquelle est astreint le chirurgien ne lui impose de prudence ou de diligence qu’à l’égard des risques connus.

Le principe de précaution, lui, équivaut à conduire le médecin à s’abstenir si le risque est trop important.

Du même coup, un débat est ouvert.

D’un côté, il y a ceux qui craignent que par peur de s’aventurer dans une voie nouvelle dont les risques ne sont pas recensés, on ne freine l’avancée de l’art médical.

D’autres, au contraire, soutiennent qu’il ne s’agit dans le principe de précaution que d’une formulation nouvelle de la vertu morale et juridique de prudence (cf. Lamy Droit de la responsabilité, Lamy SA, mai 2003).

3) Le droit du patient à l’information

* Le devoir d’information

Le devoir d’information est régi par l’article L.1111-2 du code la santé publique (loi du 4 mars 2002) qui dispose :

« Toute personne a le droit d’être informée sur son état de santé. Cette information porte sur les différentes investigations, traitements ou actions de prévention qui sont proposés, leur utilité, leur urgence éventuelle, leurs conséquences, les risques fréquents ou graves normalement prévisibles qu’ils comportent ainsi que sur les autres solutions possibles et sur les conséquences prévisibles en cas de refus… »

C’est une information a priori.

Mais l’obligation d’information est également une obligation a posteriori.

Le médecin doit suivre l’usager :

« Lorsque des risques nouveaux sont identifiés, la personne doit en être informée, sauf en cas d’impossibilité de la retrouver. »

C’est au professionnel ou à l’établissement de santé de faire la preuve, le cas échéant, que le devoir d’information a été respecté.

Surtout, depuis la loi du 4 mars 2002, le devoir d’information porte sur les risques « fréquents ou graves normalement prévisibles ». Et si ce devoir est général et s’applique à tous les praticiens quelle que soit la nécessité de l’intervention chirurgicale à effectuer, ce devoir d’information est apprécié de manière beaucoup plus rigoureuse pour ce qui concerne la chirurgie esthétique (et en ce cas, l’andrologie est une variante de la chirurgie esthétique).

La Cour de cassation a jugé :

« En matière d’actes médicaux et chirurgicaux à visée esthétique, l’obligation d’information doit porter non seulement sur les risques graves de l’intervention, mais aussi sur tous les inconvénients pouvant en résulter. »

Le devoir d’information, en cette matière de chirurgie esthétique ou de confort, se double d’un devoir de conseil incluant celui de s’abstenir de pratiquer l’intervention lorsqu’elle apparaît contraire à la règle de raison proportionnée dont nous parlions tout à l’heure.

Tout doit donc être dit au patient des conditions de l’intervention, de ses risques et de ses éventuelles conséquences et complications.

C’est l’article L.6322-2 du code de la santé publique qui en dispose ainsi à propos précisément de chirurgie esthétique.

En réalité, le législateur ne s’est pas borné à ratifier les exigences définies par la jurisprudence en matière de responsabilité médicale. Il a voulu aggraver le régime de droit commun du devoir d’information beaucoup plus contraignant en matière de chirurgie esthétique précisément parce que l’acte chirurgical n’a pas de finalité thérapeutique immédiate.

Le devoir d’information comprend l’obligation de fournir un devis détaillé.

* La preuve du consentement

Corollaire de l’information, le consentement doit être reçu par écrit et ne peut être valide qu’autant qu’il est reçu d’un esprit éclairé susceptible de manifester une volonté claire et consciente.

Ainsi, ne suffit-il pas au médecin d’avoir recueilli une signature sur un document, encore faut-il qu’il ait pu vérifier que l’adhésion donnée par le patient à l’intervention envisagée procédait d’une volonté parfaitement éclairée.

 

a) Le consentement doit être écrit

A été engagée la responsabilité d’un médecin qui avait pratiqué une circoncision rituelle sur un enfant en dehors de toute nécessité médicale, en se contentant du consentement d’un seul des parents (Cour d’appel de Paris, 29 septembre 2000).

Dans le cas d’un mineur, il est donc indispensable que les deux parents aient consenti.

Le consentement doit être donné sur la totalité du processus opératoire, sur les modalités de son exécution, sur les conditions financières envisagées et sur toutes les modalités d’intervention :

  • nom de l’anesthésiste,
  • nom de la clinique,
  • processus opératoire,
  • durée prévisible de l’hospitalisation.

b) Le consentement doit avoir été mûri

Il est indispensable que le patient qui demande une intervention de confort exprime dans le document qu’il signe pour y consentir un certain nombre de points.

L’information qui lui a été donnée sur les solutions alternatives :

– par exemple, le conseil d’aller voir un psychiatre plutôt que de se faire opérer la verge ;

– le délai entre la première visite et la seconde, puis entre la seconde et l’opération ;

– les risques d’inconvénients liés à l’intervention, d’autant plus nécessaires à préciser que l’intervention n’est pas indispensable ;

– le consentement aux éventuelles séquelles ou inconvénients post-opératoires.

Pour autant, ce consentement ne fait pas échapper le chirurgien à la responsabilité qu’il encourt s’il a pris la décision d’opérer alors qu’il y avait une disproportion manifeste entre les risques encourus et les résultats aléatoires envisagés (Cour d’appel de Paris, 1ère chambre B, 16 juin 1995).

 

B – LES INTERVENTIONS RÉPARATRICES

Le chirurgien n’encourt pas la même responsabilité quand il est en face d’une situation où il intervient en chirurgie réparatrice que lorsqu’il est sollicité pour une intervention de confort.

Bien sûr s’appliquent à lui, dans le premier cas, l’obligation de moyen, le principe de précaution, l’information totale du patient sur les risques encourus et les techniques employées.

Enfin, bien évidemment, le chirurgien répondra des fautes techniques qu’il aurait commises.

En revanche, on ne lui demandera aucun compte désormais (depuis un arrêt de la 1ère chambre civile du 27 mai 1998) de ce que l’on appelait naguère la « faute incluse » qui permettait d’imputer au chirurgien des troubles d’une gravité exceptionnelle à l’occasion d’un acte de soins courants.

La Cour de cassation a jugé que « l’existence d’un faute ne peut se déduire de la seule anormalité d’un dommage et de sa gravité ».

C – L’ANDROLOGIE ESTHÉTIQUE OU DE CONFORT

Il s’agit d’hypothèses dans lesquelles un sujet qui n’est pas content de ses performances sexuelles ou de son apparence veut avoir allonger ou épaissir sa verge, en augmenter la rigidité, bref, sans autre nécessité que le souci de son aspect physique.

La responsabilité se situe à trois stades :

  • l’information du patient ;
  • le délai de réflexion et son consentement ;
  • la mise en œuvre et le résultat.

Il n’est pas exigé du chirurgien de confort un résultat esthétique donné.

Le principe est celui de l’obligation de moyens.

Il le demeure, tel que cela été jugé pour l’implantation de prothèses mammaires, des actes de liposuccion, par exemple.

Dans le même temps, rien n’interdit à un chirurgien de s’engager sur un résultat, suivant convention conclue avec son patient.

Ainsi, un chirurgien esthétique a-t-il la faculté de promettre à son patient la restauration d’une symétrie faciale ?

Au cas où l’opération n’aurait pas abouti au résultat escompté, le patient obtiendrait la condamnation du médecin sans avoir à rapporter d’autres preuves (Cass. 1ère civile, 13 février 2001).

A contrario, il faut admettre que pour s’assurer contre toute action en responsabilité pour faute, le chirurgien doit avoir la preuve de ce qu’il a informé son patient du caractère aléatoire du résultat et des risques que lui fait courir l’intervention envisagée.

Ce bref rappel des principes applicables est évidemment incomplet et mériterait une réflexion plus approfondie.

Simplement, il importe de rester sensibilisé à ces graves questions. La responsabilité du praticien, hors les cas de fautes techniques particulièrement graves ou préjudiciables, est d’autant moins recherchée que le patient a été clairement informé des risques encourus, des solutions alternatives et, le cas échéant, de la disproportion entre les risques encourus et l’intervention sollicitée.

On ne saurait que conseiller au chirurgien d’établir des documents extrêmement détaillés et précis.

Certes, la tradition culturelle française voulait que le rapport de confiance qui s’établissait entre le médecin et son client repose sur la parole donnée.

C’était au patient jadis de rapporter la preuve qu’il n’avait pas été informé. Il y avait du paternaliste et du corporatisme dans cette façon de considérer les choses.

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CONCLUSION

Les temps ont changé : chacun a conscience de ses droits, veut être informé et veut être garanti.

Pris comme dans un étau entre le désir exigeant du patient au mépris des risques et l’obligation de prudence qui lui incombe, le chirurgien n’a pas d’autre choix que d’établir le protocole précis de ce qui se déroulera.

Nous sommes entrés dans une société où se réduit la part laissée au hasard et où s’accroît indéfiniment l’obligation de rendre compte.

Nous n’avons pas d’autre choix que d’admettre que la personne est d’autant plus humaine qu’elle est davantage responsable.

Christian Charrière-Bournazel

27.05.04 – Santorin