Vers une nouvelle fronde des parlements ?

Sous prétexte de renforcer la lutte contre le crime organisé et son financement, un nouveau texte de procédure pénale sera soumis au parlement qui aura comme caractéristique notamment de rendre absents les juges.

L’assignation à résidence pourra être décidée par l’autorité préfectorale ; les forces de police pourront perquisitionner de nuit dans les domiciles en enquête préliminaire et hors flagrant délit ; une nouvelle garde à vue de quatre heures, décidée par l’autorité préfectorale, sera possible ; enfin, pour couronner le tout, les policiers pourront être fondés à se servir de leurs armes sans avoir à justifier des critères de la légitime défense.

La rage sécuritaire qui s’est emparée de notre pays depuis plusieurs années continue à faire des ravages, à moins que ce ne soit plus simplement la rage électoraliste. Nous avons dû nous battre naguère pour que nos gouvernants soient contraints d’admettre la présence de l’avocat en garde à vue avec tous les attributs de la défense, et ce dès la première minute, alors même que c’était le cas depuis bien longtemps dans tous les pays d’Europe, Angleterre, Allemagne, Espagne, Italie et en tout dernier lieu la Turquie elle-même ! Nous avons dû nous battre pour que l’audition libre de quatre heures, sans avocat, ne puisse jamais avoir lieu sous la forme d’une contrainte, la personne pouvant à tout moment se retirer du local de la police.

Nous n’avons pas réussi à obtenir ce que d’autres pays pratiquent et que la commissaire européenne à la justice avait elle-même accepté de promouvoir, c’est-à-dire un texte de loi ainsi conçu : « Toute personne amenée à se rendre auprès de la police ou du parquet a le droit de se faire accompagner par un avocat ».

Comme le disait Robert Badinter, la France n’est pas la patrie des droits de l’homme mais la patrie des Déclarations des droits de l’homme.

Voici que se profile un nouveau recul.

Les plus hauts magistrats de France se sont émus et ont fait part de leur désaccord. Les avocats ne peuvent que s’associer à leur protestation. Il ne s’agit pas de se plaindre avec eux d’une atteinte à l’autorité judiciaire. Ce n’est pas de leur autorité qu’il s’agit mais de leur mission au service des libertés.

On ne saurait accepter que des atteintes à la vie privée ou à la liberté d’aller et venir, qui ne doivent être qu’exceptionnelles et contrôlées de manière exigeante, soient désormais laissées à l’arbitraire du pouvoir exécutif et de ses représentants, sans même que soit envisagé le recours à un juge indépendant et à un avocat.

On nous expliquera qu’il n’y a pas assez de juges ou que le temps qui presse ne permet pas d’y recourir utilement dans des situations d’urgence ou encore qu’on ne peut pas leur demander de se mobiliser la nuit comme on peut l’exiger d’un policier, d’un médecin ou d’un avocat.

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Ces arguments sont ineptes. Si l’on manque de juges, il faut en former davantage. Si l’on doit augmenter le budget de la justice, la France restera cependant en ce domaine le parent pauvre de l’Europe. Et quel juge se plaindrait demain d’être comme un médecin réveillé la nuit pour s’assurer que les droits de la personne humaine et sa liberté ne subissent que des atteintes nécessaires et proportionnées dans notre société qui devrait rester démocratique ?

En 1215, les Anglais ont inventé l’habeas corpus en proclamant la Magna Charta. La France s’est bien gardée en 2015 de s’associer aux manifestations célébrant le huitième centenaire de cette avancée en matière de droits de la personne humaine. Nous n’arrivons pas à nous défaire de cette sujétion à l’autoritarisme de l’État. Nous tremblons que les juges soient indépendants, comme si notre liberté dépendait de leur assujettissement au pouvoir. Or, c’est tout le contraire. Nous avons besoin du juge pour contrôler les excès des puissants. Si l’ordre du droit prime sur le désordre des forces, encore faut-il que la loi soit juste et respecte les droits fondamentaux et les libertés. C’est la mission du juge de le vérifier depuis la plus humble juridiction jusqu’à la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg.

Un projet de loi qui veut s’affranchir du juge est illégitime et déshonorant.

Soutenons tous, avocats et citoyens, la nouvelle fronde des parlements.

Christian Charrière-Bournazel