Secret professionnel de l’avocat

Chères Consœurs,
Chers Confrères,

Les 15 et 16 juin derniers s’est tenue l’assemblée générale mensuelle du Conseil national des barreaux.

La Commission des règles et usages, à mon initiative, avait préparé le texte d’une résolution destinée à conforter notre secret professionnel.

Vous vous rappelez qu’au mois de septembre 2011, la Cour de cassation a rendu un arrêt disant que l’article 66-5 de la loi du 31 décembre 1971 qui fait bénéficier du secret professionnel toutes les correspondances entre avocats, à l’exception de celles portant la mention « officielle », ne s’applique pas aux correspondances échangées entre l’avocat et les instances ordinales (Cass. Civ. 1, 22 septembre 2011, 10-21219).

Cette jurisprudence peut avoir des conséquences extrêmement graves. J’en prends quelques exemples :

1) En cas de perquisition dans le cabinet d’un avocat, le juge peut désormais estimer légitime d’appréhender le double de la lettre dans laquelle un avocat s’est ouvert d’un cas de conscience à son bâtonnier à propos d’une affaire particulière, ainsi que la réponse que lui a adressée le bâtonnier ou son délégué.
2) Alors que je me suis opposé fermement pendant que j’étais bâtonnier à la remise à des juges d’instruction de dossiers individuels concernant les avocats, un juge pourra peut-être demain prétendre se faire assister de la force publique et s’emparer du dossier malgré les protestations du chef de l’Ordre.
3) Je me suis battu jusqu’à prôner la désobéissance civile, à mes seuls risques et périls, pour que l’avocat ne soit pas tenu de dénoncer directement à Tracfin l’éventuel soupçon qu’il pourrait avoir sur une opération éventuelle de blanchiment. La transposition de la directive du 26 octobre 2005 en a tenu compte puisqu’elle a imposé le filtre du bâtonnier. Mais, au regard de la nouvelle jurisprudence, alors que le filtre du bâtonnier sert à préserver le secret, désormais toute déclaration de soupçon d’un avocat à son Ordre pourra être appréhendée par la puissance publique.

Cette jurisprudence nécessite donc, dans l’urgence, une adjonction à la loi.

J’avais estimé raisonnable de faire une distinction entre les échanges avocats-instances ordinales qui portent sur des questions générales ou de principe et celles qui se rapportent à un cas particulier qui doivent bénéficier du secret.

J’avais donc suggéré la création d’un deuxième alinéa pour l’article 66-5 ainsi rédigé :

« Sont également couvertes par le secret professionnel les correspondances échangées entre l’avocat et son bâtonnier ou les instances ordinales dès lors qu’elles contiennent des éléments couverts par le secret professionnel ».

Je ne prétendais pas régler tous les problèmes de secret qui peuvent se poser à nous tous les jours, ni entreprendre une grande refonte du secret professionnel, mais j’entendais parer à l’urgence pour les raisons que je viens d’exposer.

La Commission des règles et usages avait bien voulu proposer un projet, ajoutant aux correspondances protégées celles qui sont échangées avec la Conférence des bâtonniers ou le CNB. Il arrive, en effet, qu’un bâtonnier consulte le président de la Conférence des bâtonniers ou son bureau en faisant état d’éléments couverts par le secret. Et les bâtonniers sont fondés à s’adresser au CNB lorsque, destinataires d’une déclaration de soupçon, ils demandent conseil et transmettent à la cellule chargée de les aider une correspondance contenant des éléments couverts par le secret.

L’assemblée générale souveraine a estimé devoir renvoyer ce débat à plus tard et l’inscrire dans une démarche beaucoup plus large de réforme globale des règles régissant notre secret professionnel. Ce débat sera soumis à l’assemblée générale de septembre 2012.

Je crains qu’aucune réforme d’ampleur du secret professionnel ne puisse être mûre pour cette date. Or, l’urgence commande qu’au moins l’alinéa dont j’ai suggéré l’insertion dans la loi soit voté par notre assemblée. C’est la raison pour laquelle je demanderai à l’assemblée générale un vote spécifique sur ce texte. L’assemblée sera libre de l’accepter ou de le rejeter.

Je vous prie de croire, chères consœurs, chers confrères, à l’assurance de mes sentiments très confraternellement dévoués.

Christian Charrière-Bournazel
Président du Conseil national des barreaux