« L’avocat, la vérité et le secret »

CCB/VP

26/10/98

Campagne du Dauphinat

de Christian CHARRIÈRE-BOURNAZEL

Réunion du 20 octobre 1998 à 19h30

Auditorium de la Maison du Barreau

« L’avocat, la vérité et le secret »

                       Cette dix-septième réunion de campagne devait être l’occasion d’ouvrir une réflexion sur les fondements éthiques et juridiques du secret professionnel des avocats, ainsi que sur les conflits entre le droit fondamental au secret, attribut de la personne humaine, et la recherche de la vérité sans laquelle il n’est point de justice efficace.

Dans son introduction, le candidat a rappelé les données de la problématique.

Juger est une nécessité. C’est le jugement qui donne sa force au droit. S’il n’y avait plus de jugement, la loi ne serait plus qu’un « précepte moral aussitôt bafoué par les cyniques ». Cette nécessité de juger le plus scrupuleusement possible légitime la recherche par le juge de la vérité.

Mais, dans le même temps, aucune démocratie ne peut méconnaître le droit fondamental de toute personne au secret le plus absolu sur sa relation avec les confidents nécessaires que sont l’avocat, le prêtre ou le médecin. Un conflit de valeurs se présente dès que la légitime recherche de la vérité se trouve confrontée à l’obstacle que constitue ce droit fondamental au secret.

Notre société, de manière particulièrement dangereuse, fait désormais prévaloir la recherche à tout prix de la vérité sur le droit au secret. On a vu se multiplier les perquisitions dans les cabinets d’avocats sans qu’aucune barrière ne paraisse infranchissable aux magistrats. Le candidat rappelle que l’on a même vu saisir par des juges les notes manuscrites prises par un avocat au cours de son entretien avec son client. La loi du 7 avril 1997 n’a rien résolu puisque les arrêts des chambres d’accusation passent outre.

Christian Charrière-Bournazel estime que l’heure est venue de rappeler avec fermeté un certain nombre de principes :

a) le secret professionnel n’est pas fait pour l’avocat mais pour son client ;

b) il ne peut jamais être le pavillon de complaisance sous lequel voyagerait ou s’abriterait une marchandise frauduleuse ;

c) l’avocat ne peut prétendre qu’il aurait « droit au mensonge ». Demeure cependant la difficile question que posent à l’avocat les rapports entre la vérité et le secret.

Dans un pays jacobin, il peut paraître légitime que l’avocat, au pénal, fasse économie de vérité et attende de l’accusation la preuve qu’elle doit rapporter, lorsque son client est confronté à l’éventualité d’une peine qu’en conscience l’avocat estime injuste et à la condition qu’aucun autre intérêt ne soit en cause que celui de l’accusé.

En revanche, la situation est tout à fait différente lorsque le mensonge risque de faire porter sur un autre le poids d’une injustice.

C’est le cas de la pièce dissimulée qui, si elle avait été connue, aurait changé le sens du jugement.

Pour autant y a-t-il un autre juge de ce devoir de l’avocat que sa propre conscience ?

Le Professeur Jean Langlois, premier des intervenants, a évoqué les menaces constantes et de plus en plus graves qui pèsent actuellement sur le secret médical au point que « bon nombre de médecins, inquiets de cette situation nouvelle, s’interrogent sur l’utilité de maintenir les dispositions concernant le secret professionnel  » de la profession de médecin.

Le Bâtonnier Guy Danet a constaté la mort d’une série de secrets et l’apparition de nouveaux comme le secret des sources revendiqué par les journalistes, le secret de la délation ou le secret informatique.

Il a fait siens les propos de Jean-Denis Bredin qu’il a lus à l’assemblée, épiloguant sur la vérité devenue vertu suprême et sur la force de l’image au point qu’est désormais imposée une forme de vie sans secret et sans mystère sous « la dictature glacée de la vérité ».

Monsieur le Procureur Yves Bot, en homme d’esprit et en humaniste, a défini la relation entre la personne et son confident nécessaire comme la rencontre d’une confiance et d’une conscience.

Rappelant que la vérité morale est définie par Jean-Jacques Rousseau non comme ce qui est mais comme ce qui est bien, Monsieur Bot a rappelé qu’il n’appartient pas au droit de définir ce qui est bien et que les conflits entre le secret et la vérité, tels que le professionnel – avocat ou médecin – peut les connaître, ne peuvent être réglés qu’en éthique dans l’intimité de la conscience.

Monsieur Alain Finkielkraut a élargi l’analyse à nos sociétés libérales dans lesquelles se perçoit le déclin du secret. Plus de sphère secrète de la vie, la liberté l’a désertée pour s’épanouir au forum ou à l’agora.

Le bonheur des hommes aujourd’hui passe par la vie publique, le fond le plus caché de la maison est transformé en forum. Une idéologie du bonheur a détruit le mythe du bonheur. « Au principe de l’inviolabilité de la conscience ou de la dignité s’est substitué le mythe de la disponibilité de toute chose  » dira-t-il au cours du débat.

Enfin, Monseigneur d’Ornellas, Évêque auxiliaire de Paris, a centré son propos sur le secret sacramentel de la confession. Il a exprimé que sans secret, il n’y a pas de vérité possible. La faute n’est pas la vérité de l’homme. Mais l’aveu de la faute par l’homme atteste un rapport de la conscience à la vérité.

Intervinrent ensuite dans le débat ouvert avec la salle, Jean-Claude Woog, Thierry Massis et Jean-Marc Varaut.

Christian Charrière-Bournazel prononça la conclusion qui suit :

« L’heure est venue de conclure notre soirée et je vais donc, avant de vous libérer, tirer les conclusions de ce qui s’est dit de si important, de si brillant et de si riche. Je n’ai pas cherché, Monsieur le Procureur, à vous entraîner dans une aventure qui aurait été indécente. On n’invite pas un procureur de la République qui vous fait l’honneur de venir pour se conduire mal avec lui. Et d’ailleurs, vous n’aviez pas de raison d’être maltraité puisque vous n’avez dit que des choses qui étaient acceptables et recevables.

Mais la question est d’importance parce que, encore une fois, nous le savons, le secret n’est pas fait pour l’avocat, il est fait pour les personnes. Et le secret, je l’ai déjà dit, ne peut pas être l’instrument d’une complicité ou d’un comportement assimilable au pavillon de complaisance sous lequel on fait circuler une mauvaise marchandise. Pour autant, nous ne pouvons pas considérer comme légitime, nous avocats, cette montée en puissance orgueilleuse d’un certain nombre de juges qui estiment qu’à leur passion de rechercher la vérité il y a une justification absolue et sans limite.

Quand je dis « orgueilleux », ce n’est pas pour le plaisir d’injurier. Mais il y a, en effet, une sorte d’orgueil injustifié à penser que le pouvoir judiciaire peut indéfiniment étendre son regard et ses investigations partout où bon lui semble. Pourquoi orgueilleuse ? D’abord parce que c’est l’homme qui juge l’homme et la leçon d’humilité que l’on peut tirer des propos de Monseigneur d’Ornellas sur la considération de la personne et de sa vérité suffit à montrer que la justice doit être humble.

Surtout, parce que le droit n’est pas une science exacte. Il existe des sciences exactes qui tendent à faire découvrir l’ordre préétabli des choses, ordre prédéterminé et non encore parvenu à la conscience humaine. C’est l’ordre des planètes ou encore l’ordre naturel que la médecine tente de décrypter, plus ou moins bien selon les époques. Mais l’ordre du droit est un ordre fantasmé par la conscience. Ce n’est pas un ordre absolu. Voltaire le disait déjà : « On peut être coupable en un ou deux points de l’hémisphère et parfaitement innocent dans tout le reste du monde « . Nous savons que le droit est relatif. Des confrères encore vivants aujourd’hui ont plaidé dans leur jeunesse pour des femmes qui avaient avorté et qui étaient jugées criminelles ; aujourd’hui, d’autres défendent des hommes et des femmes qui ont voulu empêcher à un moment un avortement et qui sont considérés, comme des délinquants. Le droit est variable.

Le droit ne se confond pas avec la morale. Le droit n’est pas non plus au service de la vérité ; il arrive que le droit organise le mensonge. Je prends un exemple très simple : la présomption « pater is est …  » et l’impossibilité légale avant 1972 d’établir la filiation adultérine d’un enfant. Il s’agissait bien d’un droit écartant la vérité au bénéfice d’un ordre fantasmé par une société bourgeoise qu’obsédait la transmission du patrimoine.

Par conséquent, quand une justice accepte de réfléchir sur elle-même, quand des juges veulent réfléchir sur leur mission, éminente et nécessaire je l’ai dit, ils ne peuvent que prendre conscience de l’extrême relativité de l’acte de juger. D’abord parce que ce sont des hommes qui jugent, ensuite parce que le droit est variable. Par conséquent, la recherche de la vérité n’est pas légitime à tout prix, jusqu’au bout, par tous les moyens et partout où besoin paraît en être à certains juges. Car, en face, se dresse un principe qui, lui, est absolu et fondamental : c’est une liberté, c’est un droit de la personne humaine, c’est le droit au secret de la relation de toute personne avec son avocat.

Nous ne pourrons, nous avocats, défendre le secret jusqu’au bout qu’à la seule condition de l’enraciner en éthique et en spiritualité. C’est ce que j’ai voulu faire ce soir en parlant avec vous et en ouvrant un débat dont je souhaite que nous le continuions ensemble pour parvenir enfin à mettre en face de cette réalité, que j’exprime maladroitement, les juges. Ils doivent revenir derrière la ligne. Mais s’ils n’y reviennent pas d’eux-mêmes, il faudra les y faire revenir. Car je tiens le juge qui a saisi dans un dossier les notes manuscrites de l’entretien d’un client avec son avocat pour quelqu’un qui a commis un délit et qui est au moins receleur d’une violation du secret professionnel.

Je ne cherche pas du tout à jeter le discrédit sur les magistrats. Je ne pense pas  un instant que ce soit le rôle de celui remplissant la fonction à laquelle je postule que d’animer des guerres. Je pense, en revanche, que le ministère de la parole, les rencontres et les débats sont essentiels. Je souhaite qu’on les approfondisse, qu’on les tienne en permanence et qu’on arrive à définir les contours d’un juge du secret qui serait autre qu’un juge de l’ordre judiciaire et qui pourrait, en cas de perquisition, se voir remettre les caisses de documents saisis sous forme de scellés fermés. Ce juge du secret devrait être le bâtonnier comme naguère. Il pourrait être le président de la Commission Consultative des Droits de l’Homme auprès de Matignon. Ce pourrait être le juge permanent français à Strasbourg, aujourd’hui le Bâtonnier Pettiti, demain un conseiller d’État, peu importe, mais en tout état de cause quelqu’un qui ne soit pas mêlé à l’acte de juger et qui ait à dire si oui ou non les pièces saisies pourront être vues par un juge.

Si nous ne faisons pas ce que nous devons faire, avocats et magistrats, pour édicter de manière extrêmement précise les règles qui satisferont à la fois à la nécessité de juger et au respect des droits de la personne, nous n’aurons pas progressé. Or je n’ai qu’une envie, c’est que nous progressions ensemble pour le meilleur accomplissement de nos tâches respectives et pour la grandeur de professions auxquelles nous avons bien raison de tenir car nous servons, ensemble, une institution qui a le nom d’une valeur. Je répète ce que tout le monde dit et sait, mais je ne cesse de m’en pénétrer parce que c’est la raison de ma vie. Merci.  »

Paris, le 26 octobre 1998

Monsieur Jean-René TANCRÈDE

LES ANNONCES DE LA SEINE

12 rue Notre-Dame des Victoires

75002 – PARIS

PAR PORTEUR

CCB/VP

Cher Jean-René,

Voici le texte du compte-rendu de ma réunion du 20 octobre qui pourrait être diffusé dans LES ANNONCES DE LA SEINE accompagné d’une photo de chacun des intervenants ou de la tribune avec les cinq (et moi le cas échéant !).

Bien amicalement à vous.

Christian Charrière-Bournazel

PJ