Avocat par désir ou par défaut ?

La profession d’avocat a toujours été ouverte : il suffit pour y entrer d’une maîtrise de droit et d’un CAP d’avocat obtenu à l’issue d’une formation de dix-huit mois axée sur la pratique professionnelle, la gestion d’un cabinet et la déontologie.

Ce qui rend l’avocat préférable à tout autre juriste, c’est la rigueur de son éthique ; elle justifie la confiance que peuvent lui faire aveuglément ceux qui s’en remettent à lui pour être conseillés ou défendus.

Accueillant d’autres professionnels du droit, le barreau s’enrichit régulièrement de magistrats, de professeurs de droit, de conseillers d’État, de conseillers à la Cour des comptes, de juristes d’entreprise, etc…

L’avocat, parce qu’il est le garant du droit et le gardien des libertés, s’investit dans la vie de la cité : nombreux sont les avocats conseillers municipaux, maires, conseillers généraux ou parlementaires. Celui qui a choisi ce métier est porté naturellement à défendre aussi des intérêts plus collectifs et à faire prévaloir dans la société l’ordre du droit sur le désordre des forces. Telle est notre vocation.

Pour sauvegarder l’indépendance de l’avocat et éviter que son image ne se brouille, la loi énonce des incompatibilités tout à fait justifiées : un avocat conseiller municipal ne plaide pas pour sa commune. Un avocat parlementaire n’a pas le droit de plaider pour ou contre l’État, pour au contre des sociétés nationalisées, dans des affaires de fraude fiscale ou encore dans les procès de diffamation lorsqu’ils se déroulent devant les juridictions correctionnelles.

Mais l’avocat devenu député ou sénateur peut continuer, sous cette réserve, à exercer son métier en même temps qu’il remplit sa fonction d’homme public.

Traditionnellement enfin, le parlementaire qui n’était pas avocat avant de devenir député ou sénateur peut demander son intégration au barreau, dès lors qu’il remplit les conditions de diplôme universitaire prévues par la loi. Il se trouve dispensé de l’examen préparatoire au certificat d’aptitude à la profession et assimilé à un fonctionnaire de catégorie A. Le barreau a toujours considéré qu’il s’enrichissait à accueillir des personnalités désireuses de se consacrer en toute indépendance au conseil et à la défense dans le respect de la déontologie qui fait l’identité de l’avocat.

Ce qui vient d’agiter considérablement la profession, c’est la précipitation avec laquelle le gouvernement, à quelques semaines de la fin d’une législature, a rédigé et publié un décret dont les termes sont si flous qu’il donne l’impression que l’on pourra désormais entrer au barreau comme dans un moulin. Le Conseil national des barreaux, par mon intermédiaire, a demandé que le texte soit revu et précisé. Il y était, en effet, question de permettre l’accès à la profession à des personnes ayant exercé « des responsabilités publiques », sans plus de précision, et qui auraient à ce titre participé de manière effective « à l’élaboration de la loi ». Formulation brumeuse qui permet tous les écarts.

Il était si simple de dire que les députés, les sénateurs et les membres du gouvernement, titulaires de la maîtrise en droit ou d’un diplôme équivalent qui auraient pendant plus de huit ans rempli leurs fonctions publiques en relation étroite avec l’élaboration de la loi, pourraient prétendre devenir avocat, sous le contrôle des ordres maîtres de leur tableau, à la condition de surcroît qu’ils aient suivi une formation en déontologie d’au moins vingt heures, sanctionnée ou non par un examen ou un entretien qui permette d’en vérifier l’efficacité.

À cela aurait dû s’ajouter une précaution pour que ne subsiste aucun soupçon sur la nature des activités auxquelles seraient amenés à se livrer ces nouveaux avocats dans leur nouvelle profession. Il paraît difficile d’interdire à un député de devenir avocat pendant son mandat alors qu’un avocat peut continuer à exercer son métier quand il devient député. En revanche, le souci de l’éthique aurait dû conduire à ajouter un paragraphe à ce décret interdisant à tout parlementaire ou assistant parlementaire qui devient avocat pendant l’exercice de ses fonctions, de rédiger, de promouvoir ou de soutenir une loi de nature à servir les intérêts d’un client ou d’un groupe de clients du cabinet où il exerce.

Le Conseil national des barreaux et les Ordres d’avocats ne revendiquent ni privilèges, ni prés-carrés. Ils entendent simplement maintenir, dans l’intérêt de ceux qu’ils ont mission de servir, le haut degré d’indépendance et de rigueur déontologique qui fait l’identité des avocats.

Christian Charrière-Bournazel