Remise des insignes de la légion d’honneur à Mme le bâtonnier Anne-Sophie Willm

CCB/VP

05.11.13

REMISE DES INSIGNES DE LA LÉGION D’HONNEUR À MME LE BÂTONNIER ANNE-SOPHIE WILLM

Mulhouse, le jeudi 7 novembre 2013

Chère Madame le bâtonnier,

Vous avez été élue par votre barreau le 6 décembre 2011. Je ne crois pas aux coïncidences. Elles sont un signe du destin : c’est, en effet, un 6 décembre que Corneille créa le Cid, que Thomas Edison effectua le premier enregistrement d’une voix humaine et que les femmes obtinrent le droit de vote en Turquie.

Vous incarnez, en effet, le magistère de la parole, vous partagez avec Chimène le sens de l’absolu et vous avez assumé le rôle éminent de la femme au barreau en devenant, non pas la première femme bâtonnier à Mulhouse, mais, étant femme, le premier bâtonnier de Mulhouse issu des conseils juridiques.

Avec l’humilité des êtres rares, vous dites que votre parcours n’a rien d’exceptionnel et vous en dédiez le succès à la chance.

Quelle chance ?

Celle, dites-vous, « d’être bien entourée et d’avoir rencontré des personnes qui ont suscité en moi des centres d’intérêt ».

Vous n’échapperez pas à l’évocation, dont l’honneur me revient, de vos multiples mérites. Mais commençons par rendre à ceux qui vous sont chers, l’hommage qui leur est dû.

Vous avez été élevée par Anne-Marie Dreyfus, votre mère, et par votre beau-père, Roger Lévy, qu’elle avait épousé en 1983. Ils vous ont enseigné à ne jamais baisser les bras, à regarder l’avenir sans crainte et à ne retenir du passé que les leçons utiles. « En avant, calme et droit !» comme disent les cavaliers. Telle pourrait être votre devise.

Vous devez à vos parents l’ouverture de votre esprit à la musique, à l’opéra, aux arts, en même temps qu’ils vous ont permis de voyager et de découvrir des pays tels que la Grèce, le Sénégal, l’Inde et le Maroc.

Vous dites de votre beau-père qu’il était exigeant dans le travail et généreux dans la vie. Il vous a profondément imprégnée des valeurs qu’il servait, mais non pas d’une manière rhétorique et abstraite.

Il vous a initiée à la vie professionnelle active puisque vous avez commencé à travailler dans son cabinet d’expertise-comptable après que vous aviez obtenu votre maîtrise en droit privé à Besançon.

Il aimait parler avec vous de droit, de la profession d’avocat et de la sienne. Votre élection au bâtonnat lui a procuré une joie profonde. Nul doute qu’il aurait ressenti aujourd’hui une émotion intense à l’heure où la République vous distingue. Hélas ! il vous a quittée dans le mois précédant celui de votre nomination.

Charles Péguy faisait dire à Jehanne, parlant à la Meuse de son enfance :

« Quand nous reverrons-nous ? Et nous reverrons-nous ? ».

Je demeure persuadé que nous ne sommes pas pour toujours séparés de ceux qui nous ont le plus aimés et de qui nous avons tant reçu.

Cette ouverture au droit et au métier d’avocat, vous la tenez aussi de votre grand-mère maternelle qui a veillé sur votre éducation comme sur celle de votre frère Pierre.

Elle aurait voulu être avocat. Elle a été couturière, dites-vous. Ce n’est pas rien que d’accomplir, dans la ligne de ceux qui nous ont élevé, le rêve qu’ils avaient conçu pour eux-mêmes. Il s’incarne dans des signes forts : vous portez aujourd’hui encore la robe qu’elle vous avait offerte.

Votre vie professionnelle a commencé en 1990 en qualité de conseil juridique. Trois ans plus tard, vous avez intégré le cabinet du bâtonnier René-Jean Zimmermann. En 1993, la fusion entre les professions d’avocat et de conseil juridique date de deux ans.

Le bâtonnier Zimmermann fut de ces esprits ouverts qui comprirent tout de suite que cette réforme devait offrir à nos contemporains une palette élargie de compétences et mettre un terme à la division entre le judiciaire et le juridique.

Vous lui êtes redevable de la confiance qu’il fit aux jeunes conseils juridiques d’il y a vingt ans en les intégrant dans son cabinet pour les former au métier d’avocat. C’est ainsi qu’il vous conduisit à la prestation de serment le 9 mai 1995 devant les magistrats de la Cour d’appel de Colmar. Pendant neuf années, vous avez été avocate au sein de la SCP Zimmermann, Samuel Weis & Bialek où vous avez appris votre métier.

En septembre 2002, vous avez intégré le cabinet Fidal dans lequel vous exercez toujours.

Vous êtes l’exemple même de ce désir d’unité sans lequel la nouvelle profession ne se serait pas épanouie. Elle doit beaucoup à des confrères aînés comme votre ancien directeur, Me Adrien Eber, fondateur du barreau mulhousien et avocat spécialisé en droit fiscal, qui vous a intéressée à la vie de votre barreau. C’est lui qui vous a poussée à vous présenter au Conseil de l’Ordre en 2005 et vous avez bien fait.

Vous avez souhaité que soit rendu hommage à Me Adrien Eber dont la largeur de vue mérite d’être saluée. Il vous a incitée à intégrer le Centre de médiation et d’arbitrage de Mulhouse, vous a ouvert d’autres horizons du droit et de la pratique professionnelle en vous initiant notamment aux modes alternatifs de règlement des conflits.

Et comme toujours, les grands maîtres sont ceux qui manifestent une confiance forte en leurs collaborateurs. Il est vrai aussi que pour ce qui vous concerne, ils ne se trompaient pas.

C’est en 2010 que votre prédécesseur, Mme le bâtonnier Marie-Thérèse Stah, vous a poussée à vous présenter à la fonction de bâtonnier.

Parce que vous êtes très naturellement davantage préoccupée de rendre service que de jouir d’une gloire, vous avez longuement réfléchi. Vous avez, à ce sujet, une formule particulièrement heureuse : « Ma réflexion a été longue et mon acte de candidature assez douloureux, jusqu’au jour où je me suis sentie pleinement investie ».

La Chimène de notre confrère Corneille s’exclamait :

« Maudite ambition, détestable manie,

Dont les plus généreux souffrent la tyrannie !

Honneur impitoyable à mes plus chers désirs,

Que tu vas me coûter de pleurs et de soupirs ! ».

(Le 6 décembre de votre accession au bâtonnat, comme je le disais tout à l’heure, est aussi celui de la création de Chimène !).

Mais le sacre transforme et vous faites partie de celles et ceux qui, tous les matins, investis de cette charge exceptionnelle, songent à la façon d’être, tout au long du jour, à la hauteur de l’honneur que l’on leur a confié.

Vous avez donc commencé votre travail en mettant en œuvre des réformes dans le cadre de l’audience civile et en travaillant au rétablissement de bonnes relations entre magistrats et avocats. Vous l’avez fait dans un partenariat marqué du souci de l’écoute, empreint de confiance et de respect mutuel avec les présidents du tribunal de grande instance, M. Jean-François Beynel puis Mme Françoise Bardoux, et le procureur de la République, M. Hervé Robin. Je les salue avec toute la considération qu’ils méritent comme vous tenez à le faire vous-même en cette solennelle occasion.

Vous évoquez comme une chance d’être « merveilleusement entourée » – ce sont vos propres mots – par un conseil de l’Ordre dynamique et responsable, des prédécesseurs toujours disponibles, généreux et précieux dans leurs conseils, des homologues avec lesquels vous partagez des moments de pure amitié, des collègues qui vous sont chers et un barreau qui vous motive tous les jours. Je ne fais que paraphraser ce que vous m’en avez dit.

Mais, toujours modeste et pudique, vous ne parlez pas de vos mérites. Vous êtes toujours davantage préoccupée de célébrer les autres. Je dois à Mme le bâtonnier Marie-Laure Schott-Riesemann d’en avoir appris un peu plus sur vous.

Elle souligne avec une très grande force les qualités dont vous faites preuve : la dignité de la femme avocate, la pleine mesure de votre responsabilité et votre conscience professionnelle ; votre indépendance à l’égard de tous, – magistrats, représentants de la profession, pouvoirs publics -, de sorte que vous êtes, par excellence, le défenseur du barreau de Mulhouse, de ses valeurs universelles et de ses particularismes propres ; l’humanité que vous manifestez dans l’écoute attentive de tous vos confrères, sans ménager ni votre temps, ni votre peine.

Vous ne concevez pas le bâtonnat comme une récompense mais comme un service, une vocation. Vous avez forcé le respect de tous ceux et de toutes celles qui vous connaissent dans votre barreau et dans le ressort de la Cour. Mon ami le bâtonnier Jean-Michel Paulus me l’a lui-même confirmé.

Enfin, vous êtes connue pour votre délicatesse, votre modération et votre désintéressement qui vont de pair avec une intense implication dans votre rôle en faveur des deux-cent cinq avocats mulhousiens, comme pour la profession toute entière au sein de la Conférence des bâtonniers.

Votre présence au Conseil National des Barreaux a confirmé les éminentes qualités que je suis heureux, à mon tour, de saluer.

Vous y joignez le sens de la modernité. Aucun sujet ne vous rebute : ni celui de l’avocat salarié, ni celui de l’avocat en entreprise, ni la présence de l’avocat partout où le droit est en question puisque le respect de sa déontologie et de son éthique le rendent préférable à tout autre.

Je n’ai parlé que de l’avocat et du bâtonnier. J’ai peu parlé d’Anne-Sophie Willm et de sa relation avec la vie.

Elle est pourtant intense et belle.

Vous êtes habitée par l’amour de l’art, la passion des autres et la recherche spirituelle.

Plus jeune, vous avez suivi des cours de flûte traversière et de violon.

À votre amie Marie-Laure qui vous demandait si vous rentriez chez vous après une longue journée de travail, vous avez répondu que vous vous rendiez à des cours de guitare.

Vous aimez le piano, le violoncelle et les voix.

Vous citez parmi vos compositeurs de prédilection : Bach, Mahler, Tchaïkovski, Rachmaninov, Debussy, Ravel, Stravinsky et Verdi, dont vous émeut particulièrement le Requiem.

Mais vous êtes aussi sensible au sport sous des formes multiples : la danse classique, la gymnastique, la natation, le handball et la course à pieds lorsque vous avez un peu de temps.

Tout cela s’épanouit dans la lumière discrète d’une quête spirituelle jamais achevée.

Élevée dans une famille juive non pratiquante, née d’un père protestant, vous êtes catholique. Une de vos tantes est religieuse missionnaire en Afrique. Vous êtes allée faire un séjour en mission au Sénégal et vous avez accompli plusieurs tronçons du pèlerinage de Saint-Jacques de Compostelle.

Votre recherche mystique doublée d’une soif de vivre dans le souci des autres et le culte de la beauté fait irrésistiblement penser à Péguy :

« Que le spirituel couche toujours dans le lit de camp du temporel !

Que le spirituel ne manque point du charnel !

Que Dieu ne manque point de sa création ! ».

Ce Dieu auquel nous aspirons et qui nous semble trop souvent distant et silencieux a des motifs d’être content de vous.

Les autres, bien réels et bien vivants, vous dédient leur reconnaissance et leur fierté. Ce sont ces hommes et ces femmes qui, tous les jours, croisent votre route et à qui vous faites don du meilleur de vous-même.

Il était donc naturel que la République vous marque sa haute estime et sa reconnaissance.

Et c’est pourquoi, au nom du Président de la République et en vertu des pouvoirs qui nous ont été conférés, Mme le bâtonnier Anne-Sophie Willm, nous vous faisons chevalier dans l’Ordre de la Légion d’Honneur.

Bâtonnier Christian Charrière-Bournazel